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trouver dans le cas de tourner ses regards vers le bassin du Congo, pour y écouler les produits de son industrie, pour y diriger ses émigrants ou dans quelque autre intention, et qui ne puisse être appelée à réclamer, en faveur de ses nationaux, tel ou tel des avantages garantis par le traité. Toutes d’ailleurs pourraient désirer légitimement s’associer à un acte qui aurait le caractère d’une manifestation éclatante en faveur des idées de justice et de paix, et dont la portée, à ce point de vue, serait considérable.

Selon Sir Travers Twiss[1], il y aurait lieu de conclure deux arrangements distincts, l’un pour le Bas, l’autre pour Haut-Congo. Pour le Bas-Congo, l’on imiterait le régime appliqué aux bouches du Danube, c’est-à-dire celui en faveur duquel je plaide dans ce mémoire ; mais, pour le Haut-Congo, vu les « conditions très anormales du pays qu’il arrose, » on se contenterait d’un protocole de désintéressement, à l’instar de ce qui a été fait lors de l’examen de la question d’Orient[2]. — Je ne vois pas très bien, quant à moi, pourquoi la convention relative au Bas-Congo ne pourrait pas être étendue virtuellement au fleuve tout entier. Cela signifierait, en premier lieu, que la Commission internationale y veillerait partout aux intérêts généraux dans la mesure du possible, puis que les puissances européennes, à mesure qu’elles s’établiraient sur le cours supérieur, se soumettraient aux prescriptions concernant les riverains. Un protocole de désintéressement impliquerait le renoncement à toute conquête, même pacifique, dans le bassin du Haut-Congo ; or, je doute fort que les puissances civilisées veuillent y consentir. Aucune d’elles, je m’assure, ne songe à dépouiller violemment les détenteurs actuels, blancs ou noirs, de ces pays, mais il est fort naturel que les gouvernements qui y voient quelque avantage, cherchent à obtenir de gré à gré, de la part des occupants, des concessions territoriales, et qu’ils y arborent leur drapeau. M . de Laveleye s’effraie à tort de cette perspective. Il n’y a rien là que de normal et de conforme au droit des gens. On doit même s’attendre à ce que l’exemple donné, sous ce rapport, par la France au Stanley-Pool, trouve des imitateurs empressés. Pourquoi dès lors, ceux que cette prévision concerne se lieraient-ils les mains, en se déclarant désintéressés dans la question ? Je ne le comprendrais guère.

  1. Revue de droit international, t. XV.
  2. Cf. Revue de droit international, t. XIV (1882), p. 581.