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raux de l’humanité, qui sont en jeu au Congo, soient sauvegardés par la reconnaissance expresse de règles tutélaires.

Pour se rendre bien compte de la portée des aspirations dont il s’agit, il convient de préciser le but que l’on se propose d’atteindre.

On a beaucoup parlé de neutraliser le Congo, mais, en réalité, l’état de choses que l’on caractérise, en droit international, par le mot « neutralité, » n’est nullement ce à quoi l’on aspire. Cette expression n’a de sens que par antithèse, et là où il n’y a pas de belligérants, il n’y a pas de neutres. Or, on envisage essentiellement ici l’état de paix. Moi-même, je ne me suis pas servi de ce terme, lorsque, en 1878, je vous ai entretenus du même sujet. Je ne l’ai employé, dans ma lettre de juillet dernier, que pour bien faire ressortir la connexité de ce document avec le travail de M. de Laveleye, auquel il se référait. D’autre part le verbe internationaliser, que Sir Travers Twiss adopte, à l’imitation de Rohlfs, ne me paraît pas beaucoup plus juste.

Le but poursuivi est la liberté pour tout le monde de naviguer, soit sur le Congo lui-même soit sur ses affluents directs et ses autres tributaires[1], et d’y trafiquer pacifiquement en tout temps. On vise à ce que le droit de circuler sur ce vaste réseau fluvial ne puisse pas devenir l’objet d’un monopole, à ce que l’accès en soit toujours permis, et à ce qu’aucune entrave ne soit mise à l’activité civilisatrice d’un peuple quelconque dans ses parties navigables. Les intérêts de la production européenne, du commerce, de la colonisation, du progrès en un mot, seraient admirablement servis par un semblable régime, et le bassin du Congo se trouverait ainsi mieux partagé, économiquement parlant, que les États du vieux monde auxquels il serait redevable de cette supériorité.

C’est bien là ce que veulent les réclamants, puisqu’ils demandent, en général, que l’on fasse pour le Congo quelque chose d’analogue à ce que le Traité de Paris, du 30 mars 1856, a fait pour le Danube. Cet acte international statue, en effet, que, sauf les règlements de police, aucun obstacle ne sera mis à la navigation (art. 15) et que les pavillons de toutes les nations seront traités sur le pied d’une parfaite égalité (art. 16). Ce n’est pas aux membres de l’Institut de droit international qu’il est nécessaire de rappeler que ces dispositions, à leur tour, n’ont été que l’application, à un cas particulier, de principes généraux inscrits dans le Traité de Vienne du 9 juin 1815[2], et visant tous les fleuves qui séparent ou traversent plusieurs États.

  1. Engelhardt : Du régime conventionnel des fleuves internationaux, p. 196.
  2. Art. 108 et suiv.