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LA PEAU DE CHAGRIN

il échappa au jeune homme un geste de curiosité, sans doute attendu par le marchand qui fit jouer un ressort. Soudain, le panneau d’acajou glissa dans une rainure, tomba sans bruit et livra la toile à l’admiration de l’inconnu. A l’aspect de cette immortelle création, il oublia les fantaisies du magasin, les caprices de son sommeil, redevint homme, reconnut dans le vieillard une créature de chair, bien vivante, nullement fantasmagorique, et revécut dans le monde réel. La tendre sollicitude, la douce sérénité du divin visage influèrent aussitôt sur lui. Quelque parfum épanché des cieux dissipa les tortures infernales qui lui brûlaient la moelle des os. La tête du Sauveur des hommes paraissait sortir des ténèbres figurées par un fond noir, une auréole de rayons étincelait vivement autour de sa chevelure d’où cette lumière voulait sortir ; sous le front, sous les chairs, il y avait une éloquente conviction qui s’échappait de chaque trait par de pénétrantes effluves ; les lèvres vermeilles venaient de faire entendre la parole de vie, et le spectateur en cherchait le retentissement sacré dans les airs, il en demandait les ravissantes paraboles au silence, il l’écoutait dans l’avenir, la retrouvait dans les enseignements du passé. L’Évangile était traduit par la simplicité calme de ces adorables yeux où se réfugiaient les âmes troublées ; enfin sa religion se lisait tout entière en un suave et magnifique sourire qui semblait exprimer ce précepte où elle se résume : — Aimez-vous les uns les autres ! Cette peinture inspirait une prière, recommandaitle pardon, étouffait l’égoïsme, réveillait toutes les vertus endormies. Partageant le