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LA PEAU DE CHAGRIN

les joies de son jeune âge. Au prestigieux, aspect du pagne virginal de quelque jeune fille d’Otahiti, sa brûlante imagination lui peignait la vie simple de la nature, la chaste nudité de la vraie pudeur, les délices de la paresse si naturelle à l’homme, toute une destinée calme au bord d’un ruisseau frais et rêveur, sous un bananier, qui dispensait une manne savoureuse, sans culture.

Mais tout à coup il devenait corsaire, et revêtait la terrible poésie empreinte dans le rôle de Lara, vivement inspiré par les couleurs nacrées de mille coquillages, exalté par la vue de quelques madrépores qui sentaient le varech, les algues et les ouragans atlantiques. Admirant plus loin les délicates miniatures, les arabesques d’azur et d’or qui enrichissaient quelque précieux missel manuscrit, il oubliait les tumultes de la mer. Mollement balancé dans une pensée de paix, il épousait de nouveau l’étude et la science, souhaitait la grasse vie des moines exempte de chagrins, exempte de plaisirs, et se couchait au fond d’une cellule en contemplant par sa fenêtre en ogive, les prairies, les bois, les vignobles de son monastère. Devant quelques Teniers, il endossait la casaque d’un soldat ou la misère d’un ouvrier ; il désirait porter le bonnet sale et enfumé des Flamands, s’enivrait de bière, jouait aux cartes avec eux, et souriait à une grosse paysanne d’attrayant embonpoint. Il grelottait en voyant une tombée de neige de Mieris, ou se battait en regardant un combat de Salvator-Rosa. Il caressait un tombawk d’Illinois, et sentait le scalpel d’un Chérokée qui lui enlevait la peau du crâne. Émerveillé