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LA PEAU DE CHAGRIN

peau mais le vieux molosse ayant remarqué le mauvais état de cette guenille, la lui rendit sans proférer une parole ; le joueur restitua la fiche par un mouvement machinal, et descendit les escaliers en sifflant di tanti palpiti d’un souffle si faible, qu’il en entendit à peine lui-même les notes délicieuses.

Il se trouva bientôt sous les galeries du Palais-Royal. Dirigé par une dernière pensée, il alla jusqu’à la rue Saint-Honoré, prit le chemin des Tuileries et traversa le jardin d’un pas irrésolu. Il marchait comme au milieu d’un désert, coudoyé par des hommes qu’il ne voyait pas, n’écoutant à travers les clameurs populaires qu’une seule voix, celle de la mort ; enfin, perdu dans une engourdissante méditation, semblable à celle dont jadis étaient saisis les criminels qu’une charrette conduisait du Palais à la Grève, vers cet échafaud, rouge de tout le sang versé depuis 1793.

Il existe je ne sais quoi de grand et d’épouvantable dans le suicide. Les chutes d’une multitude de gens sont sans danger comme celles des enfants qui tombent de trop bas pour se blesser ; mais quand un grand homme se brise, il doit venir de bien haut, s’être élevé jusqu’aux cieux, avoir entrevu quelque paradis inaccessible. Implacables doivent être les ouragans qui le forcent à demander la paix de l’âme à la bouche d’un pistolet. Combien de jeunes talents confinés dans une mansarde s’étiolent et périssent faute d’un ami, faute d’une femme consolatrice, au sein d’un million d’êtres, en présence d’une foule lassée d’or et qui s’ennuie. A cette pensée, le suicide prend des proportions gigantesques.