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nous vivions avec les sages ou que nous périssions avec les fous, le résultat n’est-il pas tôt ou tard le même ? Aussi, le grand abstracteur de quintessence a-t-il jadis exprimé ces deux systèmes en deux mots : Carymary, Carymara.

— Tu me fais douter de la puissance de Dieu, car tu es plus bête qu’il n’est puissant, répliqua Émile. Notre cher Rabelais a résolu cette philosophie par un mot plus bref que Carymary, Carymara, c’est peut-être, d’où Montaigne a pris son Que sais-je ? Encore ces derniers mots de la science morale ne sont-ils guère que l’exclamation de Pyrrhon restant entre le bien et le mal, comme l’âne de Buridan entre deux mesures d’avoine. Mais laissons là cette éternelle discussion qui aboutit aujourd’hui à oui et non. Quelle expérience voulais-tu donc faire en te jetant dans la Seine ? étais-tu jaloux de la machine hydraulique du pont Notre-Dame ?

— Ah ! si tu connaissais ma vie.

— Ah ! s’écria Émile, je ne te croyais pas si vulgaire, la phrase est usée. Ne sais-tu pas que nous avons tous la prétention de souffrir beaucoup plus que les autres. — Ah ! s’écria Raphaël. — Mais tu es bouffon avec ton ah ! Voyons ; une maladie d’âme ou de corps t’oblige-t-elle de ramener tous les matins, par une contraction de tes muscles, les chevaux qui le soir doivent t’écarteler, comme jadis le fit Damiens ? As-tu mangé ton chien tout cru, sans sel, dans ta mansarde ? Tes enfants t’ont-ils jamais dit : J’ai faim ? As-tu vendu les cheveux de ta maîtresse pour aller au jeu ?