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blanche du matin, le litre à seize de l’après-midi, l’absinthe de cinq heures, et parfois, quand ça rend, la cuite de la soirée.

D’aucuns nourrissent leurs familles de tous ces bouts de cigares, mais ceux-là sont aidés, et les petits sont dressés dès le bas âge et travaillent sous l’œil du père jusqu’à ce que ce dernier les juge capables de pourvoir tout seuls à leurs besoins.

Quand le ravageur a rempli des produits de son industrie errante le sac de lustrine verte ou noire affecté à cet usage, il se rend place Maubert, sur le coup de midi. Il trouve là les commissionnaires en gros, debout près de leurs boîtes carrées, qu’ils ont alignées derrière eux sur les degrés de pierre.

Alors commencent les transactions.

Le portugais de deux sous et le londrès font prime. On n’estime guère le medianitos et le manille plus que le vulgaire petit bordeaux. Et tout cela se vend à la livre, au kilogramme !

On trouve à cette Bourse d’un nouveau genre les spécialistes du métier, les ravageurs attitrés des établissements publics ou il est interdit de fumer.

Ceux-là ne permettent pas qu’un intrus vienne exercer sur leur domaine ; ils tiennent à leur monopole. On se montre le ravageur de l’Hôtel des Ventes. C’est lui qui met en circulation les plus beaux produits, des cigares presque entiers !

Aussi on compte avec lui ; et c’est lui qui fait d’ordinaire la cote officielle.

Et quand les commissionnaires ont renouvelé leur assortiment, quand ils ont opéré un triage, haché menu leur marchandise, ils livrent à la consommation cigares et tabac.

— Qu’on se le dise ! C’est à deux sous le paquet !

Et ils trouvent des acheteurs.

Les ravageurs sont penseurs et philosophes.

C’est souvent à la Foire aux Mégots que se pèsent les renommées, que s’apprécient les réputations.