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SUR LE VIF

La Foire aux Mégots

C’est place Maubert, sur les degrés de pierre avoisinant la rue Galande, que se tient ce singulier marché.

Là se centralisent toutes les opérations importantes de l’industrie des ramasseurs de bouts de cigares, car, comme toutes les industries, celle-là est soumise à des fluctuations sans nombre.

S’il n’y a pas de morte-saison, il y a des hausses, il y a des baisses ; les jours de pluie, par exemple, les valeurs les plus demandées subissent des dépréciations considérables.

De temps en temps seulement et à des époques déterminées, la production excède la consommation : pendant la durée de la Foire aux jambons, de la Foire au pain d’épice, après le 14 juillet, etc.

Ces hommes de tout âge, de tout poil, de toute race, que vous avez cent fois rencontrés, errant par les rues, l’œil en terre, explorant les ruisseaux, fouillant les pavés, surveillant les abords des cafés, épiant le moment où vous jetterez votre londrès éteint, que vous avez pris pour des indépendants, désireux de subvenir aux besoins de leur consommation journalière en s’affranchissant des droits qui pèsent sur le tabac, sont des industriels et des courtiers.

Comme vous et moi, ils fument le scaferlati, voire même le caporal supérieur de la Régie, et ils rougiraient d’user personnellement des détritus qu’ils collectionnent avec tant d’amour et de persévérance.

Avez vous jamais vu de ces ravageurs bourrer leurs pipes des débris du cigare que vous venez de jeter ?

Et ces débris sont pour eux le pain quotidien, le verre d’eau-de-vie