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Et tandis qu’à nos pieds roulait la mer sonore,
J’ai vu — séchons nos pleurs amers !
Que les alcyons blancs sortent plus blancs encore
De F éclaboussure des mers.

CLOVIS HUGUES.

UN ROMAN DANS LA LUNE
POÈME EN PROSE

C’était un poète tourmenté d’un mal étrange ;

Il vécut sans désirs, sans ambitions, sans jalousie et sans joie ; Ignorant les larmes plus douces que le miel et les mortels baisers ; Car un soir, plein d’extase et de sérénité, il avait aperçu dans la Lune celle qu’il devait aimer d’un amour unique : Il avait aperçu la lumineuse fiancée qui l’appelait avec un sourire bleu.

Les destinées avaient maudit ce rêveur. Et c’est avec un dégoût de malade qu’il lutta pour le pain très rassis et le vin très falsifié de tous les jours.

Mais quand venait le soir, il oubliait la lutte et ses longs écœurements ; — et, à sa fenêtre accoudé, il chantait des chants pleins d’amour et de surhumaine clarté à la fiancée lumineuse qui l’appelait avec un sourire bleu.

Les filles de la terre en vain l’éblouissaient des blancs éclairs de leurs gorges amoureuses ;

En vain rôdaient autour de lui leurs yeux pleins de promesses : Il restait fidèle à la fiancée qu’il avait aperçue dans la Lune et qui l’appelait avec un sourire bleu.

Il vécut ainsi beaucoup d’années, attendant l’heure de l’éternel hymen ;

Puis un soir, plein d’extase et de sérénité, il est mort, le poète tourmenté de ce mal étrange.

Et son âme s’envola, chantant un hymne de joie, là-haut, au pays