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sale. Près de la table de nuit, des vomissements couvraient le plancher. — Albert poussa un cri de terreur, auquel la victime, comme ahurie, répondit par un grognement sourd. Plus de doute : elle était sous l’empire d’un poison narcotique d’une suprême énergie.

Mais lequel ?… Terrible moment ! Albert s’arrachait les cheveux : lui, involontaire meurtrier de cette malheureuse fille ! Il ne pouvait se faire à cette idée. Il l’adorait, son Aline…

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Comme il se levait pour appeler au secours, il resta soudain pétrifié à l’aspect d’un flacon ouvert placé sur la table à côté d’un verre.

Il poussa un formidable éclat de rire !… Sur l’étiquette de ce flacon, qu’Aline avait pris dans l’armoire à glace, bâillait une hideuse tête de mort, soulignée de ce mot : Poison.

Mais.… ce poison, c’était de l’eau-de-vie !… Une eau-de-vie particulièrement délectable, qu’Albert avait cru — par l’artifice d’une qualification inexacte — protéger contre l’avidité du valet de chambre, peu scrupuleux et toujours assoiffé.

La jeune femme avait du trouver le poison fort bon, car point n’en restait une goutte.

En ribote comme une grive, la maîtresse avait fermé les yeux. L’amant, en proie à un opiniâtre fou rire, s’assit près du lit, attendant le réveil de demain — et le pardon qu’on ne lui marchanderait point.

Stanislas de GUAITA.

POUR SA FÊTE

Le temps marche, les jours s’écoulent, l’heure est brève,
Et l’instant succède à l’instant ;
Mais nous avons en nous l’éternité du rêve :
Nous nous aimons toujours autant.

Ainsi qu’au premier jour notre âme est toute neuve,
En dépit du destin jaloux :
Des méchants qui passaient ont en vain fait l’épreuve
De la calamité sur nous.