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homme devant les noms menaçants de Zola, de Clovis Hugues, de Tony Révillon, de E. Hugot. Notre collaborateur Hugot a eu surtout le privilège de les inquiéter : « M. Hugot, l’ennemi de l’Empereur et de Boileau !… Où allons-nous, chers collègues, où allons-nous ! »

Et, par retour du courrier, le Petit-Carreau, Brives-la-Gaillarde et Confolens nous ont accusé de nourrir en secret d’affreuses tendances révolutionnaires.

Mais, bons commerçants ! dignes propriétaires ! honorables officiers ministériels ! vous voulez donc nous obliger à reproduire dans chaque article cette déclaration solennelle inscrite en tête de notre programme : La Libre Revue s’interdit toute discussion religieuse ou politique ?

La politique ! mais c’est précisément contre son encombrante intrusion que nous avons voulu protester en fondant une feuille exclusivement littéraire et artistique.

J’ignore si mes amis, plus heureux que Jérôme Paturot, ont réussi à mettre la main sur le meilleur des gouvernements ; pour mon compte, j’avoue, en toute humilité, que mes moyens ne m’ont pas encore permis de m’offrir le luxe d’une opinion politique.

En donnant à notre Revue l’épithète de Libre, ce n’est pas une tendance politique, mais bien une attitude littéraire que nous avons voulu marquer. Nous sommes libres de toute vassalité d’école, libres de tout esprit de parti, libres de toute admiration préconçue. La liberté que nous réclamons, c’est la liberté absolue de critique à l’égard des plus grands comme à l’égard des plus petits.

Cette liberté, il semble qu’elle existe de temps immémorial dans le monde des lettres, qui, à toute époque, même sous les monarchies les plus absolues, s’est pompeusement proclamé en république.

Il n’en est rien.

Depuis tantôt quarante ans, personne en France n’ose dire carrément sa pensée sur les œuvres d’art. Les relations, les intérêts, la chasse aux emplois, les académies, le gouvernement, tout conspire à museler la critique.

Dame ! cet écrivain a des accointances avec un ministre ; cet autre est formidable par les journaux dont il dispose ; ce bas-bleu tient une boutique de célébrité où l’on confectionne et livre les grands hommes dans la huitaine. Une agression serait impolitique. Et on lâche prise pour mordre à belles dents sur quelque pauvre hère d’auteur, mais tout à coup on s’arrête effrayé de son audace… « Par la coupole ! s’il allait être le beau-frère du concierge d’un académicien !… »

Depuis feu Gustave Planche, l’incorruptible exécuteur des hautes-œuvres littéraires, ces honteux compromis sont l’histoire de tous les écrivains qui ont usurpé le titre de critiques. On va en juger par le défilé rapide des plus célèbres.