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— Et vous avez bien fait. C’était vrai, fit Georges, mais, ajouta-t-il, en la voyant s’avancer curieuse, son balai à la main, rassurez-vous ce n’était pas à un rendez-vous d’amour que j’allais !

— Qui sait ?

— Oh ! vous le sauriez la première. Et Georges coupant court aux questions de Misé Rose se remit au travail.

La pièce où il travaillait était grande, haute de plafond ; quelque ancienne salle de réception, avec tout en haut aux quatre coins, des vestiges d’écussons à moitié disparus sous la chaux. Par les deux fenêtres, à balcon de fer ouvragé, on apercevait les deux colonnes du théâtre antique, et, un peu sur la gauche, les arenes, émergeant comme une immense couronne d’au milieu des toits rouges et des petits clochetons montant dentelés et gracieux dans le bleu du ciel.

Un peu au hasard, Georges avait placé çà et là quelques vieux meubles achetés le lendemain de son arrivée dans une petite boutique, à côté des arènes. Aux murs il avait suspendu des tentures, dont les couleurs un peu usées étaient comme rajeunies et dorées sous les rayons du soleil. Çà et là des armes, des portraits, des paysages ébauchés, quelques plâtres, quelques faïences, une trouvaille de Misé Rose chez l’ancienne bonne d’un docteur mort l’année précédente ; une vieille cape de berger, dont la couleur rousse avait séduit Georges, et un costume complet de l’arlésicnne d’autrefois, avec son cotillon de soie à grandes fleurs vives, son drôlet noir, ses deux longues pointes comme les deux ailes d’une libellule au repos.

Tout cela jeté de droite et de gauche, mais avec un fouillis charmant, et miroitant sous le soleil qui entrait à grands flots d’or par les deux vastes fenêtres.

L’hiver semblait décidément avoir pris fin.

Georges tout à coup s’arrêta. Posant sur le rebord du chevalet son crayon, il ouvrit la fenêtre et vint tout pensif s’accouder au balcon.

— Pourquoi se disait-il, ne pas interroger Misé Rose, Oui, mais comment ? Lui demander la chose aussi crûment serait éveiller sa curiosité, et Dieu me protège de sa curiosité, pensait-il.

Misé Rose époussetait de droite et de gauche.

Elle se retourna, vit Georges à la fenêtre et heureuse de pouvoir enfin causer de quelque chose qui la préoccupait fortement depuis la veille.

— Et la jeune fille de samedi soir, demanda-t-elle, celle que vous avez si vaillamment défendue, n’en avez-vous plus eu de nouvelles. Georges allait répondre, quand un coup de sonnette retentit à la porte d’entrée.

Misé Rose alla ouvrir.

— Qui donc peut venir à cette heure ? se demanda Georges.