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LA
LIBRE REVUE

CHRONIQUE

Je crains fort de tromper l’attente de ceux qui m’ont fait l’honneur de me confier les premières pages de ce nouveau recueil, en y écrivant sur un ton plus sérieux que je n’ai coutume de faire. Car la Libre Revue veut être vivante et jeune, c’est-à-dire que, rompant avec la tradition de ses aînées, elle ne proscrira pas la gaieté, cette fleur du sang gaulois que répudient seuls ceux qui n’ont pas le sentiment sacré de la race. J’aurais donc aimé y planter, le premier, l’étendard sous lequel je m’enorgueillis de servir et qui porte le nom glorieux de notre Rabelais. Mais, d’autre part, l’occasion est unique pour moi de dire, en toute sincérité, mes impressions sur le mouvement littéraire et artistique contemporain, et, ma foi, j’en profite pour saluer quelques grands morts que j’ai connus et quelques vivants que j’admire.

C’est ce siècle tout entier que Victor Hugo aura illuminé des rayons de son génie. Ce n’est pas pour lui qu’a été écrite cette pensée : « Les grands hommes au déclin de la vie sont comme les grands monuments au soleil couchant : leur ombre est plus grande qu’eux. » Victor Hugo est demeuré plus grand que son ombre, le front dans les hauteurs où les demi-dieux se reconnaissent. Tout est piété dans le chœur d’admiration que les autres poètes, ses contemporains, élèvent autour de lui. Je ne puis qu’y mêler ma très faible voix. Il est si haut par delà la sphère où se peut exercer la critique, que le louer même est une occupation superflue. Non pas que je ne reconnaisse d’autres maîtres que lui à la poésie moderne. Parmi ceux qui ne sont plus, Théophile Gautier et Baudelaire ; parmi ceux que nous possédons encore, Leconte de Lisle qui fit des poèmes admirables, et Théodore de Banville, à qui je dois tout, comme bien d’autres qui ont subi, sans s’en douter, l’influence de son doux et harmonieux génie, Théodore de