Page:La libre revue littéraire et artistique, 1883.djvu/44

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

si pénétrante, d’un charme dangereux, dont le regard lâche l’esprit vers d’infinis horizons de rêves suaves ou morbides.

Bien entendu, on chercherait en vain, au Palais de l’Industrie, un seul tableau d’un peintre impressionniste. Pour l’Institut, Claude Monet, J. L. Forain, Camille Pissarro, Sisley, Renoir, Degas, Raffaëlli, Federico Zandomeneghi n’existent pas.

Quant à Édouard Manet, nous aurons prochainement à parler de lui : ses fidèles organisent, à l’École des Beaux-Arts, une exposition qui permettra de juger, dans son ensemble, l’œuvre de ce grand laborieux.

STATUAIRE

Quel est donc le critique en belle humeur et désireux de se gausser de ses contemporains qui a formulé, — cela date de quelques années, — cette proposition falote : la supériorité de notre école de sculpture sur notre école de peinture est évidente ? Cette mystification a fait son chemin ; elle a acquis force de loi. Il est entendu que les peintres de maintenant sont des barbouilleurs dépourvus de science, de patte et de conviction, tandis que les sculpteurs sont tous, sinon des Buonarotti, du moins des Donatello. Ah ! vraiment ?

Nos peintres ont au moins le mérite de savoir ce qu’ils veulent et où ils vont, et leur anarchie n’est qu’apparente. Mais nos sculpteurs sont plus perplexes que l’homme de Coleridge ; ils hésitent entre la tradition et l’originalité, entre la convention et le vrai : de là tant d’œuvres bâtardes, à la fois dénuées de style et de réalité. Et comme le disait récemment M. Fourcaud, qui, dans un journal d’opinions très timorées, fait de la critique très indépendante et très judicieuse, « on nous offre à foison des paysannes soi-disant d’aujourd’hui et des nymphes soi-disant éternelles : les nymphes ne sont plus classiques ; les paysannes ne sont pas encore vraies. »

Parmi les œuvres qui sont actuellement au Palais de l’Industrie, on citerait facilement cent tableaux dénotant chez leur auteur une personnalité bien marquée et de suffisantes qualités d’exécution. Pourrait-on appliquer à plus De dix statues cette louange modeste ?

Au Salon de sculpture, — cinq œuvres hors de pair : le Lion et la Lionne se disputant un sanglier, de Cain, les Premières funérailles, de Barrias, le Villon d’Etcheto, le Porte-flambeau, de Frémiet, déjà vus aux Salons de 1882 et de 1883, — et Après le travail, d’Albert-Lefeuvre. Une paysanne fièrement campée, la main sur une fourche, est debout près d’un robuste gars qui hume, à plat ventre dans le pré herbu, l’eau d’une source jaillissante. Ce groupe est — sans hyperbole — d’une belle tournure, d’un faire énergique, d’un très juste