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met à me travailler l’esprit ! Une femme, une femme à moi ! Et elle, cette jolie créature ! Le coup fatal, voyez-vous, ce fut qu’à ce moment je me trouvai hériter d’une quarantaine de mille francs d’un très vieux parent, que j’avais presque oublié… La dot réglementaire qui s’offrait ! La tentation était trop forte… J’aurais dû lui dire : « Tiens, mignonne, cet argent-là, c’est à toi.… choisis-toi un mari… un brave garçon que tu aimeras et qui t’aimera, un gentil sous-lieutenant qui te rendra heureuse… » Mais non, mon colonel, j’ai cédé… est-on veule, hein, quand on est pris ? C’est que je l’adorais à en perdre la tête… Et je l’ai épousée.

« Voilà mon histoire, mon colonel. Je disais donc que je voulais les tuer, d’abord, elle, la première… La tuer… Ah çà ! est ce que j’en avais le droit ? Est-ce que c’était sa faute, à cette enfant, si j’étais vieux et si trop tard, hélas ! — elle avait senti son cœur s’ouvrir ? Est-ce que le coupable, ce n’était pas moi ? Est ce que j’avais agi en honnête homme, en disposant de sa vie comme j’avais fait ?… Voilà toutes les réflexions qui me sont venues… Et il m’a semblé que j’étais dans le vrai… alors, mon parti a été vite pris… Puisqu’il fallait que quelqu’un disparût, puisque mon revolver était là, tout prêt, est-ce que ce n’était pas moi qui devais mourir ? Si, n’est-ce pas ? Vous auriez fait comme moi, mon colonel… Comme ça, elle aura peut-être encore une petite larme pour moi ; elle me pardonnera… Allons, bon ! est-ce que je vais hésiter ? Non, l’arme est là… devant moi… Je ferme cette lettre en vous disant adieu, mon colonel, et je me fais justice, oui, justice, c’est le mot !

« Votre affectionné,
« Granjean. »

« P. S. Je remets sous ce pli l’état exact de la situation pour le sergent Pingée. Les feuilles 4, 5 et 7 n’ont pas été vérifiées. Les capotes de la dernière fourniture ne valent pas celles de la précédente : il faudra le dire à l’intendant. »

Paul GINISTY.
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LA LIBRE REVUE publiera, dans son numéro du 1er novembre : Bruges, par Camille Lemonnier, avec illustrations de Raoul Étienne.

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LES LYCÉENNES

L’une des questions à l’ordre du jour est celle de l’éducation des filles. C’est surtout de leur instruction secondaire que l’on s’occupe.