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LES LIVRES

Chérie, d’Edmond de Goncourt, chez Charpentier. — Nerte, de Mistral, chez Hachette

Chérie est dans toutes les mains. Qui déjà ne la sait par cœur ? C’est un de ces grands succès littéraires qui marquent l’année, la signent d’un nom glorieux.

Chérie ne se présente pas seulement au public, avec l’intérêt simple du drame, couché noir sur blanc, dans les pages, en sa perfection définitive. Sollicitant, à un autre titre, l’intérêt, elle éveille toute la tendresse due à ce « dernier livre du dernier des Goncourt. » Et la préface a l’importance triste d’un testament. Elle domine le livre, la préface, et les livres d’antan. Elle se dresse, empreinte d’austère grandeur et de mélancolie sympathique. Elle a la dignité, la beauté, la fierté des revendications sereines, des justes appels à la postérité équitable.

Et elle semble plus touchante et plus grande, cette préface, à côté de la mignonne chérie, de la si merveilleuse délicate, élégante et réelle petite fille : Chérie. Voici son dernier roman, déclare M. Edmond de Goncourt. Après le souhait banal qu’il en fasse d’autres, beaucoup d’autres, disons-lui, de tout cœur, comme sa Chérie est une belle et grande œuvre. Ce qu’il a emprisonné dans le papier, de vie, de modernité, d’élégance et de charmes féminins, est incroyable. Le style, récompense d’un labeur journalier, s’est fait vivant en sa volontaire simplicité. Elle surgit, la jeune fille du second empire, complexe et toute vive à ce point qu’on la frôle, qu’on l’aime et qu’on la pleure. Beauté ! que la concise mort de Chérie, et la trouvaille, à la fin, de la lettre de faire part citant intégralement la formule, voire même, au bas, le nom de l’imprimeur, nom quelconque personnifiant la banalité des choses.

Rien ne nous frappe autant que la science et l’art déployés par M. Edmond de Goncourt, et comme il a évité l’intrigue niaise, et comme il court vite au dénoûment, à travers les points de repère des faits caractéristiques. Rien ne trouble et ne fait rêver plus que ce livre. Il vit, véritablement. Il bruit, du sourd balbutiement des paroles avouées tout bas, au romancier. Et il fleure, d’une pénétrante façon, le fleur délicat et subtil des femmes riches.

Chérie surtout… mais non ! Tous les livres des Goncourt sont les livres de l’avenir. En ce temps de gloires soufflées et de réputations brèves, il est bon de se dire que le Temps, niveleur des injustes triomphes, rendra tout leur lustre aux œuvres hautes et sincères. À présent, M. de Goncourt n’est-il pas le romancier d’art par excellence, aux succès incontestés ? N’inspire-t-il pas la chose uniquement enviable, — le Respect ?

Car, il faut le crier, c’est des Goncourt que nous procédons, les jeunes épris du roman moderne, venus de la dernière heure. Imite-t-on Balzac ? qui a la lourdeur massive du génie ? ou Stendhal ? ou Duranty ? sont-ce Zola ou Daudet, nos maîtres ? ces merveilleux, mais actuels romanciers. Non !

Germinie. Lacerteux, — Sœur Philomène, — Manette Salomon, — Charles Demailly, — Renée Mauperin nous ont enseigné l’audace, le labeur patient du verbe, la probité du document exact, l’analyse à outrance. Puissions-