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aux lèvres. Je redoutais maintenant de savoir. J’eus besoin de tout mon courage pour prononcer le nom de celle que j’appelais de toutes les forces de mon âme. Surpris sans doute du trouble que révélait l’intonation de ma voix, le vieillard leva sur moi un regard empreint d’une indicible tristesse, puis pressant affectueusement ma main dans les siennes : « Ah ! mon cher enfant, une nouvelle douleur m’était réservée ! Vous l’aimiez ! Hélas ! elle est morte, la pauvre petite, il y a quelques jours à peine. Elle s’en est allée doucement, comme ces fleurs délicates et frêles qu’étouffe un épanouissement trop hâtif. » Ses paroles s’éteignirent dans un murmure que je crus être une prière. Nous nous embrassâmes longuement, sans un mot, sentant bien l’un et l’autre qu’une dernière étreinte nous unissait dans ce pays.

Longtemps je vécus avec la pensée incessante de celle que je ne devais revoir jamais plus. Maintenant encore, après l’apaisement des années écoulées, la chère et cruelle vision se lève parfois dans le lointain fugitif des souvenirs : je crois entendre un son confus et harmonieux de cloche et je vois passer devant mes yeux une image souriante et douce, rose comme un lever de soleil sur la neige des montagnes.

Édouard SIMÉON.

L’ARBRE

Le tronc, droit comme un mât, s’élance ; par étage
Vergue en fleurs, et poussant brins et bourgeons nouveaux,
Sur deux côtés la branche étend des bras rivaux,
Où la sève en montant s’arrête et se partage.

Des jets longs et nombreux, ainsi que du cordage,
S’enchevêtrant partout, forment mille réseaux ;
Et de la cime au pied, tout autour des rameaux,
Flotte comme une voile un transparent feuillage.

Confondant leurs babils en un vaste concert,
Mille oiseaux vont sautant, comme de petits mousses,
À travers les rameaux qu ébranlent leurs secousses ;

Tandis que, frémissant dans son grand voile vert,
L’arbre entier, mollement mû par des brises douces,
Semble un vaisseau qui prend sa marche vers la mer.

Jean-Marie Mestrallet.

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