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Je suivais des yeux cette cérémonie ; je me sentais heureux maintenant ; plein d’une inexprimable tranquillité. Mais en même temps une étrange sensation s’emparait de moi, — comme d’un vide qui se faisait dans tout mon être — J’avais cette notion vague et bizarre que je ne pensais plus.

Bientôt tout se tut, orgue, prières, chants. Le prêtre qui avait baptisé la cloche parla aux assistants. Dans un langage simple et élevé, il montra l’utilité, la nécessité des cloches dans les églises ; il expliqua la cérémonie du baptême. N’est-ce pas la cloche qui par son tintement simple et gai convie au sacre d’un nouveau chrétien ? N’est-ce pas elle qui par son carillon joyeux préside à la bénédiction des époux ? N’est-ce pas elle enfin dont le son plaintif annonce qu’un chrétien va mourir ? Elle est un avertissement dans la joie comme dans la douleur. Elle est une sauvegarde pour le voyageur égaré ; elle annonce à l’habitant des campagnes qu’il est l’heure de se rendre à l’office ; elle distrait par son babil les habitants du village…

L’orgue résonna de nouveau ; toutes les voix s’unirent une dernière fois dans une suprême action de grâces. Le prêtre alors souleva le lourd battant de la cloche qui, frappée d’une main ferme, lança une note large et pure. Je regardai presque inconsciemment. Sept fois, la cloche retentit sous la main des autres prêtres.

Cependant Elle s’était levée. À son tour elle s’avança. Je fermai les yeux. J’attendis longtemps, ne respirant plus ; puis, comme si mon sang un moment arrêté eût soudain, de tous les points à la fois, afflué au cœur, je reçus un grand coup et je perçus un bruit formidable d’airain roulant par tout mon corps et m’emplissant les oreilles. Quand je regardai de nouveau, elle était assise et lisait tranquillement dans son livre d’heures…

L’église était maintenant à peu près solitaire. Je sortis. L’air que j’aspirai largement vint un peu dissiper le malaise qui m’accablait. La foule, attentive et muette, regardait la cloche attachée à une forte corde sur laquelle pesaient vingt bras vigoureux, monter lentement vers le sommet du clocher. Après bien des efforts, elle fut hissée à la hauteur d’une fenêtre ouverte sur la cage de la petite tour qui devait la recevoir. Il y eut un moment de repos. Les ouvriers séchaient leurs fronts baignés de sueur.

Je la vis durant cet intervalle, les yeux levés et constamment fixés sur la cloche. Elle semblait par son regard seul la tenir ainsi suspendue.

On se remit à l’œuvre cependant. Le plus difficile, restait à faire : Amener la cloche à l’intérieur et la poser sur ses coussinets. On l’inclina doucement ; mais quand il fallut l’introduire, la partie supérieure pénétra seule ; la fenêtre n’avait pas été agrandie suffisamment. Pen-