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était magnifiquement ornée, qu’il y avait déjà huit curés venus des environs et qu’on en espérait encore. Quelques uns même, mieux informés, ajoutaient qu’elle s’appelait Honorine-Thérèse ; ils avaient vu les noms écrits !

Vous allez sourire probablement en apprenant le sujet — certes modeste — de cette affluence dans un village si calme d’habitude, de ce contentement naïf qui épanouissait tous les visages.

C’était un baptême auquel on venait assister. Un baptême ! Et cependant l’impatience était grande. Pour ma part même, je l’avoue, je n’étais pas exempt d’une forte curiosité ; j’allais, pour la première fois, assister au baptême d’une cloche.

Le tintement clair d’une sonnette, courant à travers les rues, se fit entendre. C’était le modeste appel fait par l’église. Une rumeur large l’accueillit, qui fut suivie d’une poussée générale. La petite chapelle ne pouvait contenir tout ce monde ; plus de la moitié dut assister du dehors.

La cloche était suspendue au milieu de l’église, sous un arc de verdure et de fleurs ; elle était, comme une néophyte, parée de la robe blanche. Autour d’elle, les prêtres étaient rangés, droits et fermes dans leurs surplis fraîchement empesés ; à gauche, se tenait le parrain ; à droite la marraine, tout près de moi. C’était une enfant de quinze ans à peine, rose comme un lever de soleil sur les neiges des montagnes.

Sous le ruissellement de lumière que les cierges répandaient de tous côtés, ses cheveux avaient des reflets pareils à ceux qui courent au travers des blés mûrs, quand le vent fait onduler leurs cimes ensoleillées. Ses grands yeux bleus avaient la limpidité et la profondeur du ciel de Provence.

Deux fois son regard vint croiser le mien, et je ne sais quel trouble me saisit. Je tremblais de rencontrer de nouveau ses yeux. Mais elle les tenait désormais invinciblement fixés, sur la cloche, comme si elle eût deviné qu’un lien mystérieux unissait leurs deux destinées.

La senteur âcre des plantes et des fleurs emplissait l’église et se mêlant à l’odeur alanguissante de l’encens agissait fortement sur mon cerveau. Je entais un engourdissement pesant envahir peu à peu tous mes sens.

Cependant la cérémonie commença. On chanta les psaumes. Puis l’un des prêtres, prenant un bouquet d’herbes sauvages et aromatiques et le mouillant d’eau bénite, sur ses deux parois lava la cloche, qu’il baptisa Honorine-Thérèse ; ensuite il la bénit ; recevant enfin les saintes huiles des mains du prêtre qui l’assistait, il fit avec le doigt le signe de la croix sur les quatre figures de saints qui se détachaient en relief à l’extérieur. Et pendant ce temps l’orgue faisait entendre sa voix, tantôt s’éloignant dans une mélodie suave et qui semblait près d’expirer, tantôt emplissant l’église de son souffle puissant.