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sa forme aquatique ; escabeaux, chaises de saule nattées de jonc, fauteuils des aïeux, tout était à sa place.

Aux poutroisons noires pendaient de larges flèches de lard et des semences de poireaux et d’oignons ; et dans un coin, la maie embaumée de seigle et les vieux bahuts de chêne lustrés de bistre, reluisaient de propreté.

Par la vitre et entre les grilles, elle apercevait au dehors, l’aire pleine de soleil, avec son rouleau de pierre de Crussol ; et, dans l’ombre, sous les vastes hangards, les chartils de frêne, les gerbières, les ranchers, les socs fourbis par le labour ; enfin, se détachent en clair sur les ombres fortes, le panier suspendu, où dans le jonc fenestré, se balançaient les fins produits des chèvres.

Quand elle se fut réconfortée, la mère Jeanne la mena voir ses élèves : poussins pépiants, rassemblés sous les ailes de sa couve ; poulains carressants, agneaux bêlants : — puis elle lui montra ses petits cochons, la truie sans cesse affamée, le verrat, toujours prêt à mordre ; les vaches laitières ; les grands bœufs fauves, aux belles cornes décrivant de gracieuses accolades.

Elle la conduisit ensuite dans les chambrées des vers à soie, embaumées par le romarin qu’elle y brûlait, dans les terrasses, comme de l’encens, et elle lui montra, sur les tables, ses beaux vers bien portants, voraces, blancs, gris de fer ou noir-velouté ; tous froids comme du marbre ; les uns broutant, les autres repus, levant la tête en l’air, d’un air bon garçon ; d’autres occupés à réduire la feuille en dentelle.

— Tenez, lui dit-elle, nous allons donner à manger à ceux qui s’éveillent de la troisième mue.

Alors, remettant à Perlette un blanc tablier, elle l’envoya quérir de la feuille, et aussitôt la gente Bedosse commença ses fonctions de magnanneuse.

Qu’elle fut longue, pour Métalli, cette matinée ! avec quelle impatience n’attendit-il pas que le soleil, en son midi, eut marqué l’heure du dîner.

Et Perlette, combien elle languit !

Enfin, après le repas, ils purent reprendre ensemble le chemin des mûriers, des beaux mûriers qui leur rappelaient tant de doux souvenirs ; de ces beaux mûriers qu’ils aimaient tant : que le paysan révérait alors et qu’il arrache aujourd’hui.

Pauvres mûriers, renversés au bord de votre fosse, ou sapés dans toute la vigueur de votre fût séculaire ! que de chutes entraîne votre chute !

Bientôt vous aurez disparu du pays. Avec vous s’enfuiront les doux