Page:La libre revue littéraire et artistique, 1883.djvu/305

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Un de nos collaborateurs, M. Maurice Jouannin, vient de publier chez Tresse un volume de nouvelles intitulé Neuf et Dix, pour lequel M. François Coppée a écrit la préface ci-après[1] :

Voici trois brèves histoires que j’ai lues, sur épreuves, avec un délicat plaisir. Toutes sont pleines de talent ; aucune n’a de prétention. Rare, très rare qualité, dans ce temps où un romancier, après nous avoir infligé, par le menu, pendant trois ou quatre cents pages, les amours d’un habitué de café et de la dame du comptoir, s’imagine avoir poursuivi une enquête de la plus haute importance et parle sérieusement de physiologie, de psychologie, de sociologie, et d’un tas de mots en gie, à faire rêver des affiches blanches collées sur les murs lépreux du Jardin des Plantes.

Pour faire une nouvelle, M. Maurice Jouannin se contente d’imaginer une fable simple et intéressante ; il la conte en un style souple et naturel, décrit peu, vite et bien, coupe son récit de dialogues, craint le « morceau », — en un mot, n’est pas du tout au goût du jour. Il a ce charme et cette originalité : il n’est nullement un pédant. De plus son talent est vrai. Lisez ses trois nouvelles : la première est spirituelle, la seconde dramatique, la troisième touchante. Elles n’ont entre elles qu’une ressemblance : l’élégante façon, — l’aristocratie de plume, si j’ose dire, — dont elles sont écrites. Bien qu’elles ne soient guère à la mode, je leur souhaite bon succès.

Il est possible, d’ailleurs. Ne trouvez-vous pas que le vent tourne et que nous sommes saturés de romans scientifiques ? Entendons-nous bien ; les maîtres du genre sont et restent les maîtres. Mais leur école, qui a produit tant d’œuvres à la fois monotones et compliquées, me semble avoir un peu lassé le public.

Prenez cet aimable livre, d’un jeune auteur, d’un débutant, — mais où il y a déjà bien mieux que des espérances et des promesses — et voyez si vous n’aurez pas comme moi une sensation de fraîcheur à lire ces jolies pages, que n’empoisonnent pas le procédé et l’imitation.

François Coppée


UN POISSON D’AVRIL

I

La petite ville de X… (population 1500 habitants), dans le centre de la France, était, en 186…, et est sans doute encore très fière de posséder un collège communal qui conduit ses élèves jusqu’à la classe de 4e inclusivement.

MM. les régents, comme on appelait alors les professeurs des collèges, y étaient fort considérés, et se trouvaient être quotidiennement l’objet d’attentions délicates de la part des parents de leurs élèves.

Ceux-ci affirmaient d’ailleurs à tout propos que les professeurs de leur établissement communal élaient bien supérieurs en science et en talent à ceux du Lycée du chef-lieu.

  1. Un volume chez Tresse, éditeur, Galerie du Théâtre-Français, Paris. Prix : 3 fr. 50