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La superbe Caron sur le seuil l’attendait,
Bouche mi-close et l’œil plein de grâce câline,
L’embrassait tendrement, quelquefois le grondait,
Mais toujours caressante, hystérique, féline.

Elle lui prodiguait les baisers les plus fous,
Ivre du sang vermeil qui zébrait son poil fauve,
Bientôt la nuit tombait sur le lit des époux,
Et leur sauvage amour étonnait l’humble alcôve.

Non ! les plus noirs tableaux de ce sombre passé,
L’horreur du Walpurgis mêlée aux cris d’Hécube,
Ne sont rien à côté du délire insensé
Qui dévorait alors le formidable Incube.

Puis quand l’aube riait aux bords des deux sanglants,
Le monstre se levait, grave et mélancolique,
Et s’en allait, le pas lourd et les bras ballants,
Ayant l’âpre appétit du jaguar famélique.

Alors pour redresser son torse déhanché,
Pour rendre la lumière à sa prunelle éteinte,
Il fallait l’échafaud de cadavres jonché,
Et le doux bruit du fer qui frissonne et qui tinte.

Le sang ravigotait ses membres affaiblis,
Car les têtes alors tombaient par myriades,
Et Carrier tout entier renaissait au roulis
De l’onde clapotant sous le poids des noyades !

Fabre des Essarts.