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à ces douces amours. » Après le souvenir obligatoire du motif de la rencontre, au premier acte, Manon meurt, un peu de honte et beaucoup de cinquième acte, comme tant d’autres.

L’interprétation, très belle, est composée des excellents leaders ordinaires : Talazac fait Des Grieux et, comme jeu, il est en progrès ; Taskin joue Lescaut ; M. Cobalet le rôle du père, et M. Collin, Brétigoy. C’est Mlle Heilbron, l’ancienne Violetta du Bravo, qui est chargée de rendre Manon intéressante ; elle y réussit à merveille. Mmes Chevalier et Molet remplissent fort agréablement les rôles épisodiques de Javotte et Poussette.

M. Massenet que je quitte et auquel je reviens pour Hérodiade est un des grands charmeurs, un des grands sorciers de l’orchestre et tel qui a lu au piano ou en mains l’une de ses partitions, ne se doute pas assez de son effet avec les instruments. Pareille chose lui est arrivée pour Hérodiade que je n’avais pas, je le confesse, appréciée à sa valeur avant l’audition. Le sujet exhale cette poésie particulière du biblique, des Paraboles, du Cantique des cantiques et de la légende amoureuse de Madeleine.

J’entendais l’autre jour, chez Pasdeloup, M. Maubant déclamer la prophétie d’Athalie, et à ce seul mot grandiose et douloureux : Jérusalem ! Jérusalem ! tout un monde de sensations de jeunesse et d’images radieuses a revécu en moi. Cette Asie Mineure apparaîtra longtemps encore à nos générations comme une contrée enivrante, colorée, splendide, et Jérusalem, comme un immense portique où se pressent les peuples pour entrer dans le merveilleux arabe, biblique et chrétien. Le merveilleux arabe, c’est la beauté, le caprice, la richesse ; le merveilleux biblique, c’est Dieu le père, la création, la force, la justice austère ; le merveilleux chrétien, c’est l’amour pardonnant, notre amour moderne, la grande création qu’incarne Madeleine, l’amoureuse du Christ-Dieu. Salomé, le personnage principal de l’Hérodiade de Massenet, Salomé est la Madeleine du prophète précurseur du Christ, Jean, et MM. Paul Milliet et Henri Grémont, les auteurs de la pièce, lui font parler le même mystique et passionné langage que la grande pécheresse. Je me suis trop étendu aujourd’hui sur Manon pour pouvoir examiner comme elle le mérite cette autre œuvre de Massenet, nouvelle au moins pour nous, mais j’y reviendrai.

Ce qui paraît évident, c’est que le jeune maître est là en grand progrès et a fait un pas vers la grande tragédie lyrique idéale, rêvée par tous les musiciens, tous les artistes, comme devant réaliser la suprême incarnation de tous les arts unis. Le spectacle est déjà très beau ; rien ne détonne dans l’ensemble riche et soigné des sept tableaux et l’interprétation est supérieure. M. Maurel a pris et admirablement compris le sombre rôle d’Hérode, et Jean le prophète est chanté par le ténor de