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gnificences, faire venir notamment l’Opéra au Cours-la-Reine, (prétexte à quelques pas de ballet) elle n’en a cure, elle ne pense qu’à Saint-Sulpice, et elle y va.

Allons-y avec elle. Nous y trouverons le 4e acte et un motif d’orgue traité en fugue, un chœur de dévotes, badinage agréable qui se développe heureusement et se mêle aii thème de l’orgue, un air du Comte : « Épouse quelque brave fille » musique morale et pâle, et une cavatine de l’aspirant abbé Des Grieux : « Ah ! fuyez, chère image » bien traitée et d’assez d’effet. Manon paraît et prie Dieu « de lui rendre le cœur de Des Grieux » (sic).

Rencontre des deux amants (tout le monde a naturellement signalé la ressemblance avec la Favorite), faiblesse de « l’abbé Des Grieux » et réconciliation après un duo bien fait, assurément, mais peu nouveau.

Changement de décor : nous sommes dans une maison de jeu, à l’hôtel de Transylvanie où Manon entraîne Des Grieux. L’or ruisselle et les grecs foisonnent. Les auteurs ont toutefois purifié Des Grieux qu’ils font jouer loyalement et gagner au sieur Guillot des sommes énormes. Ce Guillot est mauvais joueur, il sort de l’hôtel, y ramène la garde, accuse Des Grieux et Manon de tricherie et les fait tous deux arrêter. Manon ira à Saint-Lazare. L’acte débute par un chœur de joueurs avec imitation du bruit de l’or à l’orchestre, coupé par le petit chœur des aigrefins, qui est très élégant.

Un air de Des Grieux : « Manon, sphinx étonnant » m’a semblé assez banal de coupe et de rhythme. L’air avec chœur : « À nous les amours et les roses » est bien carré et d’un moule usé, mais il a une couleur spéciale. Il n’est pourtant accompagné que par un battement du sol à l’octave et le chant doublé par les violoncelles. La dispute des joueurs a suffisamment de mouvement.

Au cinquième acte, les auteurs ont fait mourir Manon sur la route du Havre, où des soldats la conduisent avec d’autres prisonnières pour l’embarquer, et non à la Nouvelle-Orléans, je ne sais pourquoi. Des Grieux, caché au bord du chemin attend le convoi pour l’attaquer ; Lescaut lui a promis de racoler des reîtres dans ce but. Lescaut arrive, mais seul, il a dissipé l’argent destiné au rapt de sa nièce ; mais il manifeste son repentir et va aider Des Grieux à corrompre les gardes. Ceux-ci s’approchent, on entend au loin leur chanson : « Capitaine, ô Gué ! es-tu fatigué, etc. » Massenet, ce faisant, a pensé, un peu trop, au dragon d’Alcala, de Carmen, sa chanson est d’ailleurs heureusement développée. Les gardes séduits, Manon est rendue à son amant. Le motif principal du duo qui s’en suit, en neuf-huit, n’est pas très nouveau, mais il est coupé de phrases à quatre temps, sur une longue série d’accords de blanches montant et descendant chromatiquement dont l’effet douloureux est remarquable : « Je me hais et maudis en pensant