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COMMENT ILS AIMAIENT

II
L’AMOUR DE DANTON

Tout fut âpre et terrible en ce tribun farouche,
Tout jusqu’à scs douleurs, tout jusqu’à ses amours.
— Il rentre un soir, hideux, le blasphème à la bouche :
La femme qu’il aimait, dans l’éternelle couche,
Dormait déjà depuis sept jours.

Sept jours ! C’est plus qu’il faut aux vers du cimetière,
Pour faire un spectre affreux d’un cadavre adoré ;
Sept jours ! Sept longs festins ! une semaine entière
D’orgie, à ces mangeurs, affamés de matière !
— Le corps gisait, informe, à moitié dévoré.

Plus rien. De noirs débris. Des lambeaux. Une loque
Repoussante. Un amas de membres déchirés,
Que chaque heure qui fuit décompose et disloque.
— L’ouragan de la nuit hurlait son soliloque ;
Les ifs se tordaient, effarés.

De noirs oiseaux planaient au ciel. Danton se lève,
Fou, délirant. Il court déterrer son trésor.
Il le lui faut, ce soir, à tout prix. Nulle trêve.
À l’œuvre, ô fossoyeurs ! — Et le souffle du rêve,
Au delà du possible emporte son essor.

Il la revoit, sa douce et timide colomhe,
Ainsi qu’il la laissa, blanche et l’œil souriant…
— Mais bientôt le cercueil s’ouvre, le linceul tombe,
Et Danton n’aperçoit dans la nuit de la tombe
Qu’un fantôme au rire effrayant.