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ajoutait avec un gros rire, qui en disait long : « Oh ! ce Jacques, pas moins, c’est un fameux lapin ! » Un fameux lapin ! Cette expression-là m’avait fait longtemps rêver — En dirait-on jamais autant du neveu de mon oncle ? — Hélas ! pauvre moi, ce n’était pas l’envie qui m’en manquait !

Et pensant à toutes ces choses, j’avais fini, moi aussi, par m’endormir, voyant passer à travers des songes impossibles de belles filles brunes qui me souriaient et de superbes flamants roses, qui, perchés sur leurs hautes et maigres pattes, semblaient là tout exprès attendre mon premier coup de fusil.

À l’aube j’étais debout, et j’avais déjà, mon fusil sur l’épaule que mon oncle maternel, suant et jurant, était encore occupé à chausser d’énormes bottes de cuir jaune, montant très haut, et encore humides de la veille. — Elles entrèrent enfin, mais avec peine ; nous fûmes obligés de l’aider. — Pauvres bottes !

Nous étions prêts. Mon oncle était superbe. Et quel attirail ! Il m’en imposait. Deux fusils, un grand couteau de chasse, on ne sait pas ce qui peut arriver — une large casquette descendant très bas derrière, on s’enrhume si facilement du cerveau — un carnier immense, de quoi loger la chasse de quatre braconniers, — sans oublier un sac respectablement gonflé, c’était la partie solide, les provisions.

Mon oncle se versa un verre de rhum, le dégusta, fit claquer sa langue, puis se tournant vers moi : « Toutes voiles dehors, cria-t-il, et filons droit sous le vent ! »

Nous partîmes, et je ne vous raconterai point les longues et minutieuses recommandations que mon oncle me fit tout le long de la route. Comment je devais me placer — ce que je devais faire — où je devais me tenir : « Et surtout, ajoutait-il, pas de bruit ; il faut retenir jusqu’à ton souffle. Tu armeras ton fusil, tu attendras, et lorsqu’il filera devant toi — crac — tu l’abattras. — Ce n’est pas plus difficile que cela. Tu armes, tu attends et tu tires. »

« Oui, mon oncle. »

« Tu n’oublieras rien ! »

« Non, mon oncle ! »

« Stop ! »

Et nous nous arrêtâmes ; nous étions arrivés.

« Mets-toi ici, me dit mon oncle en me désignant un gros buisson de tamarins, et ne bougeons plus. Moi je vais tout doucement gagner les grandes herbes ; je suis sûr que c’est là qu’il niche. D’où vient le vent ? »

Et mon oncle mouillant son doigt, le leva en l’air, parut chercher un moment et murmura : « Parfait. Il filera justement devant toi, » et mettant un doigt sur ses lèvres, chargé de tout son arsenal, il s’enfonça dans le marais. Ses deux fusils se heurtèrent, je l’entendis étouffer un vigou-