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Il déclarait ne vouloir se passionner pour aucune école littéraire, proclamait la liberté dans l’art et écrivait ces lignes que les critiques devraient faire graver en lettres d’or au-dessus de leur table de travail : « Nous tâcherons de faire prévaloir la critique des beautés sur celle des défauts ; le public a plus besoin d’apprendre l’admiration que le dénigrement. »

Telle sera aussi notre devise, dont nous ne nous départirons jamais, et je me crois autorisé ici à parler au nom de tous les écrivains qui auront à formuler un jugement quelconque dans les colonnes de la Libre Revue.

Ceci posé, j’arrive à l’appréciation du gros événement théâtral de la quinzaine, à savoir : la réapparition de Sarah Bernhardt sur une scène parisienne.

Je constate tout d’abord qu’il m’est singulièrement agréable de pouvoir consacrer ma première chronique dramatique à l’artiste de génie que tout Paris vient d’applaudir dans Froufrou.

On a exhumé bien des vieux souvenirs à propos de la reprise du chef-d’œuvre de MM. Meilhac et Halévy.

On a voulu établir des parallèles entre la Froufrou de 1869 et celle de 1883.

Pour moi, qui n’ai pas eu, il est vrai, le bonheur de voir Desclée supportant sans faiblir ce rôle écrasant, je ne conçois pas Gilberte de Sartorys autrement que Sarah Bernhardt vient de nous la présenter.

Dans cette accumulation de situations, où presque chaque scène demande à être traitée différemment, tant les nuances sont variées, dans cette succession d’actes où l’héroïne doit être tour à tour comédienne et tragédienne, tantôt frivole, pétulante, capricieuse et légère, tantôt sérieuse, touchante, violente et emportée, il fallait une interprète d’une incomparable virtuosité.

Or, Desclée, malgré son immense talent, n’a jamais eu, que je sache, les qualités multiples de madame Sarah Bernhardt. Elle a pu personnifier d’une adorable façon la sémillante et gracieuse Froufrou des deux premiers actes, mais je suis persuadé qu’elle n’a jamais été, au même degré que Sarah, la Froufrou des trois derniers.

Dans Fédora, Sarah Bernhardt nous a fait frémir ; dans Froufrou, elle nous fait trembler et pleurer tout à la fois.

Je ne ferai pas l’analyse de cette pièce, vieille bientôt de quinze ans et que tout Je monde connaît.

De cette odyssée lamentable d’une femme du monde, je ne mentionnerai que les scènes où la grande artiste s’est montrée le plus profondément dramatique. C’est d’abord la scène de jalousie entre Froufrou et Louise, puis au quatrième acte la scène entre Gilberte et son mari, quand elle veut empêcher ce dernier d’aller se battre ; enfin la scène