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De tous les ordres religieux, celui-là est le plus cruellement catholique.

C’est dans ce couvent que Jeanine — autrefois Rosa Em, maintenant mère Thérèse — s’est retirée pour finir ses jours dans l’expiation et le repentir.

Elle qui, jadis, soupait en compagnie de joyeux convives, sablant le champagne dans des verres de cristal, ne mange plus que du pain rassis, avec quelques légumes, cuits à l’eau, les jours de fête.

Elle qui, jadis, dans les draps de fine toile s’étendait, voluptueusement pâmée aux bras de l’amant d’une nuit, couche aujourd’hui sur une planche dure et froide, et sent continuellement sur sa poitrine délicate et nue le frottement écorcheur et bridant du froc de laine épaisse.

Loin de se plaindre, elle est heureuse, et lorsque dans la chapelle glaciale, aux murs blanchis à la chaux, le prêtre élève l’hostie immaculée au-dessus du saint ciboire, de toutes les pénitentes, Jeanne est celle qui se courbe le plus, poursuivie qu’elle est par l’éternel remords d’avoir fait mourir le seul être qu’elle ait aimé.

Armand Charpentier.

LE MUR

Il est au cimetière du Père-Lachaise un coin lugubre et désolé, à l’angle d’un mur qui ondule sur un terrain inégal, comme s’il s’était tordu d’épouvante devant les scènes terribles qui l’ont ensanglanté. Sur un vaste espace le sol est tout bossué de tertres verdoyants ; tombes comblées peut-être trop vivement, tranchées funestes où dorment de l’éternel sommeil des centaines de fusillés.

Il est au cimetière du Père-Lachaise un coin lugubre et désolé, sur le mur encore grêlé par les balles et la mitraille sont accrochées, flétries et sinistres, des couronnes d’immortelles fanées ; des haillons de crêpes y tremblent à l’âpre vent du soir avec des frémissements de colère !

Il est au cimetière du Père-Lachaise un coin lugubre et désolé ; hier, au milieu d’un massif de verdure et de fleurs, j’y ai vu trois crânes dont les dents semblaient encore mordre la terre avec rage ! Quelles terribles pensées ont dû se heurter dans ses boîtes osseuses vides maintenant et dont les larves ont sucé la cervelle éparpillée par le plomb ? Pauvres Yoricks de la guerre civile, sanglants troupeaux couchés dans la boue par la mitraille de leurs concitoyens.