exécutés qui ne se ressentent de l’impression profonde que m’a laissée mon Idéal !
Robert Duret s’arrêta, puis reprit, comme s’armant de courage :
— Ce matin, j’allais m’occuper des préparatifs du banquet de ce soir, quand, sur un immense panneau cloué à une voiture qui cheminait devant moi, je lus ces mots en lettres rouges d’un demi-pied, sur fond blanc :
Ne faites jamais de Punch
sans vous servir du
Véritable Rhum de la Jamaïque
Grande Épicerie centrale. — Maison Bastignoule
289, rue de Rivoli.
J’ai payé cher le plaisir de vous offrir un punch de ce Véritable Rhum ! Je me rendis rue de Rivoli.
Derrière le comptoir, une femme, dont le triple menton descendait sur un opulent corsage, présidait à la vente ; sur le front, des bandeaux d’un noir de jais qu’une épaisse couche de graisse collait aux tempes ; aux poignels, d’énormes bracelets de clinquant. Les doigts, gros et courts, étaient surchargés de bagues.
Après m’être assuré de la provenance du rhum merveilleux, je priai la grosse dame de m’en faire parvenir une caisse le soir même et je donnai mon adresse.
— Monsieur Robert Duret ! s’écria l’épicière. Ah ! mon cœur avait battu à votre entrée ! Je comprends tout maintenant ! C’est vous qui m’avez sauvée !
C’était Berthe la blonde ! Berthe, mon Idéal ! Je m’enfuis, mais trop tard !
Et maintenant, la figure d’antan s’est effacée de mon souvenir, et quand je veux rêver, essayer de revoir encore cette fraîche et blonde image d’autrefois, je ne retrouve plus que le regard terne et le triple menton de la femme aux bandeaux noirs ! ! Mon Idéal s’est fait épicier ! Vous voyez bien que tout est fini, bien fini ! !