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toute cette nuit les mariés ne dormiront pas ensemble, je vous en réponds ; moi qui vous parle, j’ai fait ce qu’il faut pour cela.

— Et qu’as-tu fait ? demande Firmin.

— Voilà : madame la Parisienne n’aime pas beaucoup les farces des paysans, comme vous le savez ; or, tout à l’heure en causant, je lui ai laissé entendre que l’on était justement disposé à faire une bonne farce cette nuit.

— Comment ? interrompt Bertrand, tu nous aurais trahis, toi, Léontine ? jamais !

— Mais non, laisse-moi donc achever : j’ai fait semblant d’être de son avis, j’ai dit comme elle que ces farces étaient bêtes, ridicules. Madame Camille a cru que j’étais de son côté, elle m’a confié qu’ils devaient passer la nuit dans sa chambre de jeune fille, que cette chambre avait deux clefs, qu’elle en avait gardé une pour elle et que l’autre avait été remise à Sylvain ; qu’elle devait se retirer la première vers onze heures et que Sylvain irait la joindre une demi-heure après. Je lui ai affirmé alors que vous étiez disposés à tout faire pour aller les embêter chez eux, quand ils seraient couchés, à enfoncer la porte s’ils n’ouvraient pas, ou même à pénétrer par la fenêtre ; mais que je m’offrais à les tirer d’embarras ; je lui ai insinué que le plus sûr moyen de vous échapper, c’était de venir passer la nuit dans ma chambre à moi, où Sylvain, prévenu par moi, irait la rejoindre, et où vous n’auriez certainement pas l’idée d’aller les chercher. J’ai ajouté que de cette façon ceux qui prétendaient faire des farces aux autres seraient eux-mêmes bien attrapés. La Parisienne a tout gobé, elle m’a même remis sa clef qui l’embarrassait ; bientôt j’irai la conduire dans ma chambre, où je l’enfermerai à double tour, et vous pensez bien que ce n’est pas Léontine qui dévoilera au mari le lieu où sa bien-aimée repose. Êtes-vous content de moi ?

— Bravo ! bravo ! répondent ensemble les deux garçons.

— C’est très bien, ajoute Firmin. Le marié, trouvant le nid vide, cherchera sa femme pendant toute la nuit ; nous le suivrons de loin. De temps en temps nous l’approcherons et ferons semblant de le plaindre, nous lui ferons boire quelques bons coups pour noyer ses chagrins : c’est très bien ainsi.

— Pour que le tour fût encore meilleur, dit Bertrand, il nous faudrait mettre dans le lit un mannequin que Sylvain prendrait pour sa femme et…

— Attendez, crie l’incomparable Léontine, j’ai notre affaire. La poupée que ma grand’mère conserve comme une relique, justement Sylvain ne l’a jamais vue, il l’embrassera, la prenant pour Camille, et trouvera que les baisers de son épouse sont bien froids.

— C’est parfait, conclut Bertrand, le chef de l’association. Remet-