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d’étoffes, de tentures, de lapis, de meubles tarabiscotés. Les admirateurs de M. Meissonier déclarent que cela vaut l’Hydropique. Ils n’ont donc jamais vu un Gérard Dow, les malheureux !

M. Meissonier a eu une influence prépondérante sur le jury de cette exposition : il aurait dû mettre en jeu toute son influence pour faire refuser le tableau de son fils Charles, — les Mariés de village, — qui ne supporte même pas la discussion. Tout en ne rappelant que de très loin Je sacrifice de Brulus, cela eût fait honneur au caractère de M. Meissonier.

Il est de bon goût de railler Puvis de Ghavannes, dont l’œuvre fait horreur aux peintres entrepreneurs de morceaux de facture, et dont le nom incite le bourgeois à expectorer des calembours plus ou moins facétieux.

Ne demandons pas à Puvis ce qu’il a délibérément mis de côté, — je veux dire l’exactitude photographique et la spécialisation chronologique. Il envisage la peinture sous le grand aspect décoratif : de là ses gammes apaisées qui s’harmonisent parfaitement avec les lignes architecturales des édifices, mais qui choquent dans un tableau de chevalet. Puvis est le maître de la fresque : les murailles de Marseille, de Poitiers et d’Amiens en sont d’irréfragables preuves. Son œuvre, — hermétique et symbolique, intelligible pour les seuls penseurs, exécutée tout entière dans un style superbement simpliste qui reprend la tradition des grands primitifs Buffalmaco, Benozzo Gozzoli et Gaddo Gaddi, — sera une des gloires de ce siècle.

Les Jeunes Filles au bord de la mer et les Femmes à la toilette ont un charme profond. Nous aimons moins le Pauvre Pêcheur. La tête de l’Enfant prodigue exprime une immense et douloureuse tristesse, une de ces mélancolies épouvantablement enveloppantes dont le grand artiste ignoré, Odilon Redon, a trouvé la formule dans ses illustrations de Poë.

On nous permettra de ne pas insister sur les envois de MM. les peintres militaires Protais, Berne-Bellecour, Armand Dumarescq, etc. Ce patriotisme d’Épinal nous fait hausser les épaules. Un grand nombre d’officiers ont jugé à propos de faire portraiturer leurs culottes de peau : c’est ainsi que l’on peut admirer le plus connu de nos généraux dans une pose de sinistre pantin épileptique. Quant au général-poète Pittié, connu par ses vers doucement inoffensifs et par ses fonctions à l’Élysée, il a fourni à M. Dumarescq l’occasion de faire, une fois de plus, un tableau d’une invraisemblable platitude.

Il est cependant un peintre militaire devant qui nous nous inclinons avec le plus profond respect, — c’est le Russe Vereschagin. Ses tableaux, — trop peu connus à Paris, — sur la dernière campagne de Skobeleff, sont des œuvres impérissables.