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La noce suivait ce chemin pittoresque qui monte en pente douce au flanc des coteaux. De temps à autre l’on faisait une halte à l’ombre des grands hêtres ou des châtaigniers, on chantait une chanson ; l’on dansait un branle, et de toutes les fermes de la montagne les habitants accouraient portant des dames-jeannes pleines de leur meilleur vin, pour rafraîchir les danseurs. La joie resplendissait sur tous les visages ; seul le marié était taciturne. Lui, renommé entre tous pour son esprit et sa verve, restait silencieux auprès de sa belle compagne et ne trouvait pas un mot à répondre aux paroles de félicitation qui lui étaient adressées.

L’on est de retour au hameau des Poiriers, la ferme du père de Sylvain a été décorée de drapeaux, de mâts et de lanternes vénitiennes, de guirlandes de buis et de guirlandes de fleurs. Sous le hangar immense et dans la cour, les tables, disposées en triple rangée, sont surchargées de vins et de victuailles ; une pantagruélique hospitalité est offerte, non pas seulement aux nombreux invités de la noce, mais à tous les habitants des communes voisines, à tous ceux qui veulent prendre place au banquet.

On se mit à table et il se fit un silence profond, chacun s’occupant à satisfaire son appétit, aiguisé par les longues marches de la matinée ; puis, peu à peu, les langues se délièrent de nouveau : les garçons, excités par la bonne chère et par le vin, étaient pétillants de verve et faisaient rire les jeunes filles. On entendait un bruit confus de chocs de verres et de joyeuses voix ; l’ivresse du vin et l’ivresse du plaisir épanouissaient tous les visages ; seul le marié restait pâle et ne parlait point.

La journée s’écoula ainsi.

II

La nuit est venue : les lampions et les lanternes jettent leur lumière multicolore sur les tables du banquet ; la joie devient bruyante ; les visages s’animent et s’empourprent de plus en plus.

Le marié, toujours sombre, tête baissée, paraît absorbé dans une profonde méditation ; en face de lui, la mariée resplendit, radieuse de bonheur et de beauté. Parfois il lève la tête pour la contempler : son regard croise le regard de Camille et son visage s’anime une seconde, sous la lumière divine de ses yeux bleus ; mais il courbe de nouveau la tête comme pour regarder encore au dedans de lui-même : le regret ou plutôt le remords l’obsède, il fait l’examen de sa vie passée.

Fils du plus riche paysan de la contrée, il avait fait des études