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— Il me semble, dit en clignant des yeux Léontine au garçon d’honneur, qu’il manque quelqu’un ici ; va donc voir si la petite n’est point par là.

Bertrand s’esquiva, fit deux ou trois fois le tour de la fabrique et finit par découvrir une ouvrière cachée derrière la grande haie d’aubépine qui clôt le jardin. Elle paraissait avoir vingt ans, ses cheveux noirs tombaient incultes sur ses épaules légèrement voûtées ; ses joues caves portaient l’empreinte du passage de nombreuses larmes, mais ses grands yeux, brillant d’un feu fébrile, ne pleuraient point.

— Eh bien, dit le garçon d’honneur d’une voix railleuse, il paraît que l’on fait la fière, mademoiselle Geneviève ; allons, venez au branle, comme les autres, vous pourrez embrasser le mari.

Il prit dans sa robuste main les deux bras chétifs de la jeune fille, qui se laissa faire sans protestation, et marcha derrière lui à demi traînée.

— Sylvain, cria Bertrand, en arrivant près de la route, Sylvain, en voici une qui trouve que ce n’est pas assez du garçon d’honneur pour la mener au branle, elle demande le marié.

— Allons, vas-y, Sylvain ! crièrent ensemble les garçons et leurs commères. Et le marié se dirigea d’un pas mal assuré vers la jeune fille que Bertrand venait de quitter. À trois pas d’elle il s’arrêta et la considéra longuement sans prononcer une parole.

— Sylvain, dit la voix douce et angélique de l’enfant, je ne t’en veux pas, tu sais bien que je t’aime, mon Sylvain, je désire que tu sois heureux.

Elle se tut ; ses jambes ne pouvant plus la soutenir, elle s’affaissa sur le bord du chemin et resta assise, fixant toujours le marié : son regard exprimait une tristesse profonde, on y lisait aussi la résignation.

Le marié ne répondit rien et revint lentement vers les danseurs ; quelques-uns riaient bêtement, d’autres avaient des larmes dans les yeux. Camille n’avait prêté que peu d’attention à cette scène et n’y avait rien remarqué d’extraordinaire.

Le cortège reprit sa route vers Beaufort.

La bénédiction nuptiale fut donnée aux jeunes époux. Tous deux répétèrent les mots qui enchaînaient devant Dieu leurs deux destinées. Le visage de Sylvain était bien pâle, sa voix trembla visiblement. — « C’est l’amour et le bonheur qui le font ainsi pâlir et trembler », pensèrent ses nombreux amis.

Le marié offrit le bras à son épouse, et l’on se mit en marche de nouveau pour revenir au village de Suze.