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Le lendemain, il avait fait peindre sur la porte, en longues lettres d’un rouge criard, ces mots :

AMBROISE LYDAL
Chirurgien-dentiste

Dans la première pièce il recevait les clients. Assez rares les clients ; quelques campagnards dont l’apparence médiocre du logis — signe certain qu’on se faisait opérer là dedans à bon marché — flattait les instincts avaricieux plus opiniâtres que toutes les rages de dents.

La seconde pièce — dont la fenêtre toujours close donnait sur un jardinet — servait de réduit à Ambroise Lydal. Nul que lui n’y pénétrait jamais. Il vaquait de ses propres mains aux soins peu compliqués de son intérieur.

Contrairement à l’habitude des gens de son état, ce dentiste était un silencieux. Maniaque, avec cela. Dans la journée il ne sortait pas. Mais, été comme hiver, par tous les temps, le soir à sept heures précises, il arpentait le faubourg, s’acheminant vers l’auberge du Franc Buveur.

Cette auberge, située sur la principale place de la ville, est un de ces établissements modestes qu’achalandent principalement des ouvriers.

La salle étroite et profonde s’emplit, à l’heure des repas, d’un tapage confus. Les travailleurs, heureux du labeur achevé, s’épanchent en conversations bruyantes, assaisonnant du sel de leur esprit naïf et bon enfant l’épais potage qui fume dans les assiettes.

En entrant, Lydal saluait ; puis, il allait s’asseoir tout au fond, à une table solitaire que, par un tacite accord, on lui avait abandonnée.

Il mangeait sans s’inquiéter de ce qui se passait autour de lui. Au bout d’une demi-heure, invariablement, il avait fini. Alors il traversait la place et venait passer une heure au Café Lyrique, qui se trouve en face du Franc Buveur.

C’est une sorte de casino où, deux ou trois fois par semaine, des artistes ambulants — plus ambulants qu’artistes — initient le public local aux scies ineptes en vogue dans les bouibouis parisiens. Les jeunes viveurs provinciaux qui composent la partie la plus assidue de l’auditoire braillent en chœur au refrain, quand la chanson leur plaît.

L’élément féminin domine dans ces troupes nomades. Pour ces Cydalises peintes à outrance, le côté lyrique, d’ailleurs, est de beaucoup le moins important de leur industrie. Elles s’occupent toute la soirée à allumer, par des œillades savantes et mille agaceries, les plus huppés de la bande des auditeurs, sauf à les éteindre, après minuit, dans les prix doux.

Lydal, indifférent au vacarme, prenait place près du comptoir. On lui servait, sans qu’il eût la peine de rien demander, un grand verre de