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l’honorer d’un hommage insuffisant ? Ils n’ignorent pas, ne peuvent ignorer, que nous sommes une légion de fidèles, une longue théorie de disciples plus aptes aux cérémonies de son culte. Et n’est-ce pas une raison pour, trouvant notre religion trop exigeante et compliquée, nous en laisser toutes les génuflexions extérieures, et aussi toutes les pâmoisons intimes ? Quand nous nous gardons bien d’accorder la moindre de nos préoccupations à la renommée de leur Sandeau, par exemple, de quel droit viendraient-ils mimer les rites de notre admiration à Stendhal ? et jusqu’au jour où nous irons leur réclamer une part de Dumas, ne pourraient-ils nous abandonner tout Balzac ? Si nous honorions chacun nos saints, messieurs !

L’accaparement que nous signalons est si manifestement illogique que deux lignes de défaite polie de l’héritier légitime de Balzac ont été comprises, comme le génial auteur de la Fille Élisa le désirait sans doute en son intimité. Pour notre part, sans prétendre développer sa discrète protestation en tumulte, nous croyons devoir n’en pas laisser mourir trop vite l’écho. À tout prendre, il serait attristant qu’une armée littéraire, trop à l’ivresse de sa jeune victoire, fût assez dédaigneuse de ses charges pour laisser aux bandes de maraude, dans lesquelles se reforment peut-être les cadres ennemis, le soin d’enterrer ses morts et comme la licence de les détrousser. Que le catholicisme ait réussi à faire sienne la martyre lorraine, c’est une mystification qui, bien qu’étrange, s’explique, ne serait-ce que par la caducité du patriotisme. Mais que nous laissions se perpétrer à notre détriment un rapt de même nature en l’exubérance scientifique de l’art immortel, voilà qui n’est pas croyable ! alors surtout que, dans l’espèce, les ravisseurs contre lesquels nous avons à défendre nos génies ne sont que des récidivistes.

Une glorification pareille à celle que nous combattons fut, en effet, tentée contre la gloire de Balzac, ihy a de cela trente-deux ans, peu après sa mort. On essaya alors de le couler en bronze, — couler est bien le mot, — pêle-mêle avec Frédéric Soulié, encore un fécond. Et, coïncidence à retenir, le promoteur du coup n’était autre qu’Alexandre Dumas. Grâce à l’énergie de madame de Balzac, soucieuse de l’honneur du nom dont elle avait la garde, la tentative échoua, piteuse et ridicule. Il serait beau que la famille littéraire du maître, non moins autorisée, en somme, bien qu’à d’autres titres, déployât la même vaillance heureuse contre la confusion de gloire que l’on médite aujourd’hui. À défaut de la loi que madame de Balzac dut mettre en campagne, ne pouvons-nous conquérir l’opinion, opposer aux velléités d’accaparement d’une coterie sans mandat la protestation de l’élite artistique et, qui sait ? du public tout entier ?

Ce devoir rempli, si les membres du comité déjà organisé s’obstinent