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LA PREMIÈRE FEMME


La terre gravitait au loin ; mais nul hommage
Ne montait de ce bloc désert vers Jéhovah,
Et Dieu se dit : « Créons un être à notre image.

« Subtil trait d’union que notre esprit rêva,
« L’homme, interprète ailé de la terrestre fange,
« Sera l’hymne d’amour de ce globe qui va. »

Alors de boue et d’air pétrissant un mélange :
« Homme, dit Dieu, surgis ! et surgis tel que moi ! »
Et le fils du limon naquit plus beau que l’ange.

Au feu de ses regards l’azur pâlit d’émoi ;
L’Eden trembla ; les animaux, courbés sur l’herbe,
Murmurèrent son nom et le prirent pour roi.

Le fier lion fléchit sous le joug de son verbe,
Son œil dominateur fascina le serpent,
Le mégathérium lécha son pied superbe.

De son grand patrimoine il fouilla chaque arpent,
Il força chaque sphinx à livrer ses mystères,
Il comprit l’aigle altier et l’insecte rampant.

Et le vrai fut son lot. Mais aux confins des terres,
Chercheur inassouvi, déçu par le Réel,
Il traqua l’idéal au fond des cieux austères.

Contrôlant à loisir l’art providentiel,
Par la sérénité des nuits miraculeuses
Il lâcha son esquif dans l’océan du ciel.

Il sonda l’insondable. En strophes merveilleuses,
Il groupa le faisceau des constellations ;
Il tamisa l’amas poudreux des nébuleuses.