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SUR LE TROTTOIR


Ce matin-là des caquets m’éveillèrent ; en bas, ma concierge croassait quelque médisance, là-haut des moineaux chantaient avril. Je sortis.

Au ciel qui reluisait, lavé par une ondée, le soleil montait en riant. Sous ses premiers rayons l’air prenait des caresses de velours tiède et les trottoirs mouillés se changeaient en miroirs. Les arbres du boulevard avaient fait toilette. Leurs feuilles, à peine sorties du bourgeon, se dépliaient, mettant aux branchettes les premières touches de vert. Au coin des rues de petites marchandes entassaient sur leurs établis des monceaux de fleurs qui formaient les plus fraîches mélodies de couleurs et de parfums. Auprès du violet clair, du blanc, du jaune paille, du bleu tendre, éclataient toutes les nuances du rose, depuis le rose pâle, à peine teinte d’une pointe de laque, jusqu’au rose franc avivé de carmin. L’haleine musquée des violettes se mêlait aux bouffées de vanille que jetaient les lilas, aux fines senteurs ambrées des muguets.

Ce concert de teintes claires et de légers arômes réjouissait tous les passants. Les grisettes sautillaient, pimpantes, les cheveux ébouriffés par la brise, le nez en l’air. Les vieux qui, prisonniers du froid, avaient fait cinq mois les marmottes, se promenaient d’une allure guillerette, le regard vif, la bouche épanouie.

Je marchais léger, sans savoir où, buvant à flots l’air frais et la lumière, reposant mes yeux sur le bleu du ciel, sur la dentelle des jeunes feuilles. Comme la saison, mon âme était en fleur.

Un clic-clac de souliers, résonnant derrière moi, coupa ma rêverie. Ce n’était point le pas lourd d’un homme, mais un clic-clac léger, cadencé, comme en font les bottines d’une jolie fille. Je ralentis ma marche et fus dépassé par la belle. Ouvrière ? non : la robe était de soie. Dame ? non plus : le costume était trop tapageur. À sa toilette effrontée (couleurs criardes, trop de rubans et de bijoux), à son allure de chatte, au parfum violent qui traînait derrière elle, — pas de doute : une horizontale. Les hommes se retournaient souvent sur son passage avec des regards gourmands. Alors un sourire canaille retroussait sa lèvre, elle remuait la croupe en avançant le sein.

Attiré par ce charmant petit corps, je le suivis songeant à l’éternelle histoire de la cascadeuse Parisienne, imaginant tout un passé :

« Enfant, elle avait fait sa première communion, s’était donnée à Dieu