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surpris en flagrant délit d’amour posthume, et, cela, tandis qu’un amour bien vivant m’attendait à l’auberge en même temps qu’un joyeux souper arrosé de capri et de falerne, je suivis, sans mot dire, le fidèle gardien, lequel me regardait de temps à autre d’un air paterne, comme si ma folie passagère eût correspondu au cours habituel de sa propre imagination, lorsqu’il se promenait seul par la ville déserte, sous le clair rayonnement des étoiles.

— J’ai dit. Laissez-moi retourner maintenant vers les rives du Léthé.

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Nous avions écouté avec une attention soutenue ce paradoxal récit de Tiburce Amnon, qui était aussitôt retombé dans ses rêveries, après avoir allumé un douzième cigare.

— Eh bien ! dis-je à l’aimable fille d’Ève qui nous tenait compagnie, et le mot de la fin ? C’est à vous, madame, qu’il revient par droit de conquête. Voyons !

— Le voici, s’empressa-t-elle de répondre : il est dangereux, en amour, de s’attarder parmi les ruines, car l’amour, une fois qu’il a fui, ne revient pas. Aimons tout ce qui est vivant.

— Quel malheur, hasarda galamment Raphaël, qui s’était tu jusque-là, quel malheur que mon cœur soit mort ! Mais, dites-moi : par hasard, ne l’auriez-vous pas embaumé ?

— Fi, monsieur ! Non par hasard, par vocation.

Émile MAISON.

LA FORÊT


I

Dans mon rêve je vis une forêt. Les arbres,
Les grands chênes touchant le ciel, les vieux ormeaux,
Dans l’immobilité sculpturale des marbres,
Sur les taillis profonds étendaient leurs rameaux ;

Pas un souffle d’en haut, pas un bruit de la terre,
Pas un brin d’herbe assez agité pour frémir :
Quelques rayons entraient furtifs dans ce mystère,
Glissaient dans l’ombre verte et semblaient y dormir ;