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UN AMOUR POSTHUME

À celle tendrement regrettée qui, au
temps jadis, voulut bien m’accompagner
chez les pirates du Riff.

J’ai eu, entre tous, un ami bien singulier. Il s’appelait Tiburce Amnon, et était venu au monde orphelin, à bord d’un vaisseau, tandis que sa mère, veuve d’un consul français emporté par la peste, fuyait Smyrne pour regagner sa patrie. Étrange garçon, en vérité ! Il croyait fermement à la vie antérieure, à la transmigration des âmes, à la palingénésie et autres imaginations d’un chercheur d’idéal. De fait, il avait toujours l’air d’un revenant. Avec cela, c’était un fervent polythéiste, mais plus épris encore des dieux de la Grèce que de ceux de Rome, qu’il eût volontiers traités de faux dieux, de bâtards, n’eût été chez lui le respect inné de toutes les théogonies. « Cependant, disait-il, un curieux caprice de la destinée a fait de moi, pendant près d’un demi-siècle, un citoyen de l’empire romain ; honneur que je n’ambitionnais nullement, vous pouvez me croire sur parole. » Et, qui ne l’aurait pas cru, à le voir si convaincu et également si taciturne ?

Soit qu’il voulût taire un grand chagrin ou garder un grand secret,