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LES PAONS

Aux abords des vergers où flambent les cerises,
Juchés dans un branchage ou posés sur un mur,
Les beaux paons, assoupis par la douceur des brises,
Dorment, repus de graine et gorgés de fruit mûr ;

Et, tandis que se tait la bande somnolente,
Cuvant en plein midi l’ivresse du soleil,
L’un d’eux, plaintif se mord l’aile qu’il ensanglante,
Sous l’implacable ardeur qui le tient en éveil.

Un désir furieux le pique et le harcelle.
Hélas ! le jeune paon, comme il voudrait avoir
La femelle dont l’or frissonnant étincelle
Et qui tend aux rayons son long plumage noir.

Il s’approche près d’elle, anxieux, puis il rôde
Et se pavane, l’air superbe et gracieux,
Et sa queue arrondie, aux taches d’émeraude,
A des jeux d’éventail découvrant de grands yeux.

Mais comme sa beauté ne l’émeut ni la touche,
Pas plus que la douleur de son gémissement,
Il la frôle, et, saisi par un frisson farouche,
Lui donne un petit coup de bec, tout doucement.

Pour l’exciter encore, elle fuit affolée.
Lui, de son vol pesant, la suit, bondit et fond ;
Et, fatigués bientôt de leur brusque envolée,
Ils s’enfoncent à deux dans un taillis profond.

Émile Peyrefort.