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II

Or, tous les dimanches, au Châtelet, prompt à l’attaque comme à la riposte, il se dresse au milieu d’une poignée de braves.

Ce sont des rêveurs, des poètes,
Des peintres, des musiciens,
Des gueux, un tas de jeunes têtes
Sous des chapeaux très anciens.

Il les a recrutés, çà et là, au fond des vagues brasseries, dans les cercles littéraires, à la Jeune Gaule, au Chat noir, à la Courte-Échelle, aux Hirsutes, aux Zutistes. Les uns, mélomanes à tous crins, le suivent avec enthousiasme au Concert hebdomadaire ; les autres, virtuoses du carambolage, se laisseraient séduire par un massé rétrograde ou un coulé sur bandes, s’il ne leur offrait courtoisement de soi-disant billets de faveur qu’il a bel et bien payés de ses deniers, il ne regarde pas à la dépense. L’art avant tout.

Sur le coup d’une heure, la troupe se masse à l’amphithéâtre. Pourquoi l’amphithéâtre ? Est-ce à cause du prix ? Fi donc ! J’ai dit qu’il ne lésinait pas en matière d’art.

Le Texte préfère l’amphithéâtre pour une foule de raisons.

D’abord, c’est le seul endroit d’où l’on puisse, les jours de mêlée, embrasser d’un coup d’œil tout le champ de bataille. De plus, la dernière galerie contenant à elle seule autant de spectateurs que toutes les autres ensemble, les sifflets et les applaudissements y exercent une énorme influence sur le public. Enfin, — argument décisif, — l’amphithéâtre est à peu près l’unique rendez-vous de la partie jeune, enthousiaste et compétente de l’auditoire.

Là-bas, au premier rang, vautrés sur les fauteuils d’orchestre, quelles gens voyez-vous ? Le boursier ventru qui digère, le négociant gavé qui fait la sieste. Quel prince trône dans cette loge d’avant-scène ? Un mannequin de tailleur, un chef de rayon tiré à quatre épingles. Quel est le public du balcon ? Une bourgeoise du Marais qui somnole béatement, une ingénue qui lorgne le monsieur bien ganté, une petite pensionnaire qui tapote du piano et qui rêvasse à l’amoureux futur.

Mais les grands maigres, tes assoiffés d’idéal, les hirsutes de la strophe, les chevelus de la palette, les incohérents du ciseau, les inconnus d’aujourd’hui, les immortels de demain — où se logent-ils ?

Là-haut, au fin fond des amphithéâtres, sur les sommets où planent les enthousiasmes, les paroxysmes et les delirium tremens.

En bas, tapotements discrets, frottements sourds de peau de Suède,