Page:La libre revue littéraire et artistique, 1883.djvu/170

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Trop pauvrement représenté aussi Chardin, l’admirable réaliste dont Largillière, Louis de Boulogne et Cazes prirent, un jour, les tableaux pour des œuvres de peintres flamands.

En revanche, — triste revanche ! — les portraits de Nattier abondent, avec le ridicule de leurs accessoires et leur couleur qui évoque des idées de papier peint défraîchi ; cependant le dessin, malgré sa sécheresse, est souvent remarquable, — dans le portrait de la marquise de La Ferté-Imbault, par exemple.

Les admirateurs de Greuze peuvent s’ébaudir : la Savonneuse, la Pelotonneuse, la Tricoteuse endormie sont là. Disons-le, — cette peinture grisâtre, pénible et bourgeoise, nous horripile. C’est un sacrilège que je perpètre après Théophile Gautier. Je fais toutefois une exception pour le Portrait de la marquise de Champcenetz.

De Boucher un superbe portrait de madame de Pompadour, et un Atelier du peintre qui est une exception dans son œuvre ; puis de nombreuses compositions mythologiques ou florianesques, — dessin lâché, couleur factice, — toujours exécutées en vue de l’effet architectural. Boucher est à sa place au plafond des boudoirs, sur les panneaux et les trumeaux, sur les portières des carrosses, et non ailleurs. Il a le génie de la décoration ; — sans plus.

Il faudrait s’arrêter encore devant l’étourdissante Kermesse de Debucourt, — les Portraits de Drouais et de Largillière, — les Pastorales de ce Lancret dont Watteau fut jaloux, — la Fête champêtre, l’Arrivée au camp, la Halte au camp de Pater, — les Quatre Saisons, merveilleux panneaux de Prudhon, — la Vieille femme, le Nourrisson, le Médecin de campagne, le Joueur de basse, la Bouillie, de Lépicié, un sincère et vigoureux artiste trop peu connu, qui a profondément pénétré dans la vie des humbles.

À cette nomenclature, ajoutons une cinquantaine de statuettes généralement médiocres, — une série de dessins appartenant à Edm. de Goncourt, — une grande quantité de pendules, de tabatières, de montres et d’éventails.

Le XVIIIe siècle eut, en art, son originalité et son caractère propres. Ses artistes représentent bien leur époque, et en cela ces peintres artificiels d’une époque artificielle furent des réalistes. Nous pouvons les admirer.

Les organisateurs de cette exposition en ont vertueusement banni tout tableau, tout dessin susceptible de troubler l’imagination des jeunes pensionnaires. Au nom des bonnes mœurs, je présente d’humbles hommages à ces messieurs austères. Seulement en nous montrant un XVIIIe siècle chaste, ils nous ont montré un XVIIIe siècle incomplet.

FÉLIX-FÉNÉON.