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de ton amitié un article qui contribue à éloigner de mon éditeur le regret d’avoir publié mon ouvrage. Tu sais ce qu’est le livre, tu connais l’auteur, je compte sur toi. »

La lettre reçue par Raymond Salviac était écrite d’une main nerveuse, le papier, troué en plusieurs endroits, démentait la froideur apparente de la lettre, froideur qui n’avait pu se soutenir jusqu’à la fin :

« Je viens d’avoir une contestation avec Angèle : comme les petites causes peuvent produire de grands effets, je crains une rupture. Tu sais qu’il m’est très difficile de sortir de mes habitudes et que, particulièrement, j’ai beaucoup d’amitié pour elle ; je te prie donc de tout tenter pour rétablir les choses dans leur état primitif ; si tu réussis, je te serai redevable d’une éternelle reconnaissance. »

Le lendemain Lucien lut avec satisfaction la critique littéraire du Printemps par Gabriel Marcy, vraie critique d’ami. Le poète dévorait l’article publié dans un des journaux les plus accrédités du boulevard. Tout à coup il sentit le rouge lui monter au visage : une phrase traîtresse couronnait la réclame de l’ami :

« Il est à regretter que le volume de M. de V… n’ait pas un cachet plus original, nous aurions voulu trouver moins de pièces sentant l’imitation de Coppée ou de Sully-Prudhomme, et un peu plus de personnalité. C’est ce qui empêchera M. de V… d’être distingué de la généralité des poètes auxquels la fortune paternelle a permis de trouver un éditeur. »

Du troisième ami, d’Angèle, Lucien n’en entendit plus parler ; seulement, un jour qu’il feuilletait l’album de la baronne d’A…, une de nos vieilles horizontales, il lut cette pensée :

« La vierge m’est sacrée, car la mère qui laisse sa fille avec moi fait acte de confiance ; mais aucun scrupule ne m’empêche de tromper celui qui me confie sa femme ou sa maîtresse, car cet homme est un sot qui me pose un défi. — Raymond Salviac. »

Raoul de CESARI