Page:La libre revue littéraire et artistique, 1883.djvu/167

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

perbes récitatifs sur les paroles du poète Galtier de Nancy et, bohême accompli, se faisait une loi d’assister à tous les soupers donnés par le vicomte Lucien.

Nous avons dit que celui-ci avait une maîtresse : il l’adorait et rien ne l’empêchait de croire qu’elle le lui rendait. Cependant, à l’exemple des sages philosophes de Molière, je me tiendrai dans les limites de la possibilité.

Or, il advint qu’un jour le vicomte Lucien, qui ne vivait pas précisément de ses vers, s’aperçut qu’il lui manquait quatre louis pour parfaire les quatre-vingts francs exigés par un créancier aussi naïf qu’importun.

Un malheur n’arrive jamais seul, le même jour notre héros se brouillait avec sa maîtresse.

Par contre, son volume du Printemps, dont l’éditeur retardait de jour en jour l’impression depuis un an, allait paraître le lendemain.

Voilà pourquoi les trois amis du vicomte Lucien reçurent chacun une lettre avec le timbre du faubourg Saint-Germain.

« J’ai absolument besoin de cinq louis pour demain, lut le poète Galtier, c’est à toi que je m’adresse, parce que je te crois seul à même de me rendre ce service ; ensuite tu m’as tant de fois offert de puiser dans ta bourse que je ne crois pas être importun. Il ne s’agit que d’un prêt de quelques jours ; en m’envoyant ces cinq louis, tu me tires d’un assez mauvais pas. »

Après avoir lu, le poète marcha vers son tiroir, il trouva juste cinq louis, il les prit.

— Je comptais justement là-dessus pour me rattraper demain aux courses. Est-ce dommage !

Il mit l’argent dans sa poche et prit son chapeau.

Sur le seuil de la porte il s’arrêta :

— Au fait, dit-il, ce n’est pas de cent francs que je me fais tort, c’est de mille, peut-être plus, les renseignements que j’ai sont certains.

Néanmoins il sortit ; mais au lieu de prendre le chemin de la rue du Bac où demeurait Lucien, il se rendit rue du Hanovre, à l’agence des courses, et y déposa ses cinq louis, qu’un Frontin ou un Farfadet quelconque devait décupler.

Il rentra chez lui et écrivit :

« Si ta lettre m’était arrivée une heure plus tôt, j’aurais pu disposer de cent francs qui sont maintenant les jouets des chevaux et des bookmakers ; c’est sur l’échafaudage de ces cinq louis que sont bâtis mes déjeuners et mes dîners de la semaine prochaine. Cependant si la fortune ne m’est pas défavorable, ce que j’aurai demain sera à ta disposition. »

« Demain paraît le Printemps, écrivit Lucien au journaliste, j’attends