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Une larme brilla dans l’œil de Jacques, et il répondit :

— Oh ! que si ! petit Jésus t’apportera quelque chose. Quand les enfants sont bons et sages comme toi, il ne les oublie jamais.

Et se dirigeant une seconde fois vers la fenêtre, il ajouta :

— Je le vois descendre avec une grande poupée sous le bras, et une foule de beaux jouets à la main. Je vais lui dire d’apporter tous ces trésors à petite Jeanne…

Et le pauvre homme prit son manteau, essuya ses yeux et dit tout bas à Marguerite :

— Attends-moi ; la ville est loin et la nuit est noire ; mais la moindre contrariété pourrait frapper au cœur notre bonne petite Jeanne. Je vais lui chercher les étrennes du petit Jésus.

Il partit. Jamais, de mémoire d’homme, plus formidable ouragan n’avait bouleversé la nature ; les arbres broyés jonchaient le sol de leurs branches, le ciel n’avait pas une étoile, et, dans l’obscurité profonde, les plaintes furieuses du vent imitaient tantôt les hurlements d’une bête fauve, tantôt le râle prolongé d’un malade à l’agonie.

Mais Jacques se souciait assez peu des menaces des éléments ; il cheminait, cheminait toujours, s’accrochant aux débris amoncelés, résistant à la violence de la rafale, et ne voyant devant lui dans tout ce déchaînement que l’image de sa fille.

Longtemps il marcha, haletant et suant presque, malgré le froid. Enfin, de vagues lueurs apparurent dans l’éloignement : c’était la ville. Son cœur bondit ; il hâta le pas. Les cloches mêlaient leurs notes argentines aux sanglots funèbres des vents : — C’est la messe de minuit qui sonne, pensa Jacques ; Dieu veuille que les portes des boutiques ne soient pas closes quand j’arriverai !…

Elles l’étaient malheureusement.

Jacques attendit. Une demi-heure s’écoula, puis une heure : — Ô mon Dieu ! mon Dieu ! disait le pauvre homme, être obligé d’attendre ainsi ! Et petite Jeanne qui pleure peut-être, en songeant que petit Jésus ne viendra pas !

Cependant la cérémonie s’acheva et les marchands regagnèrent leurs demeures. Jacques se fit ouvrir un magasin de joujoux, et choisit une belle poupée à la figure pâle comme celle de la petite Jeanne, avec des mains et des pieds de fée et une jolie robe de soie bleue constellée de paillettes d’or. Il acheta de plus un beau collier de perles rouges simulant le corail à s’y méprendre, avec une belle estampe, triomphe de l’enluminure, où des arbres marron se détachaient sur un ciel jaune, — ce qui figurait un soleil couchant, — et reprit le chemin du village, alerte, presque heureux et croyant voir à tout moment petite Jeanne, éblouie par tant de merveilles, l’embrasser en pleurant de joie.