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SUR LE VIF

La Beille.

Parmi les agréables et déjà lointains souvenirs de mon enfance, il en est un auquel je trouve une saveur toute particulière et que je me plais à évoquer : c’est le souvenir du passage des Beilles.

Nous appelons Beilles, dans mon pays, ces innombrables troupeaux de bêtes à laine qui descendent à chaque automne des hautes montagnes du Dauphiné, vont dans les plaines de la Crau, pour y paître l’herbe hivernale, et remontent au retour de la saison nouvelle vers les pays hauts pour y estiver.

Vous, enfants de Paris et des grandes villes qui n’avez jamais vu ces immenses migrations étant tout petits, ne lisez point les lignes qui suivent ; ce n’est pas pour vous qu’elles sont écrites, et vous ne les comprendriez point.

La Beille annonçait sa venue à deux lieues à la ronde par le dindement des sonnailles et des grelots ; et nous, moutards, nous accourions en hâte de toutes parts, pour assister au défilé.

En tête de la colonne, les ânes marchaient, pesamment chargés des ustensiles de cuisine et du matériel de campement. Ensuite, s’avançaient les vieux boucs, avec leurs grandes cornes et leurs longues barbes ; ils portaient haut la tête, faisaient sonner en cadence leurs clochettes ; et, parfaitement convaincus de leur importance, ne regar-