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Le Préfet ? toujours le Préfet !… Mais enfin, que diable cela pouvait-il donc bien être que ce Préfet ?… Nous étions réunis quelques moutards en arrière des pompiers, près de la rigole d’arrosage, à l’entrée du pré de mon cousin François Vieux ; il y avait là Magnétou, Soury, Lambert, Fabre des Essarts, Paul Canova, Mortal, Belœil et d’autres, venus de l’autre côté du pont, que je ne connaissais pas encore, et qui me paraissaient méchants. Magnétou était presque un grand, il portait déjà un pantalon à bretelles et peut-être même un gilet ; il avait aussi une ceinture à plaque et une casquette ; les autres crapauds, qui ne mettaient encore que des culottes à corsage et des bonnets, avec la serviette au derrière, se serraient autour de lui pour écouter respectueusement ce qu’il disait… Je crevais d’envie de savoir…… Enfin, réunissant tout mon courage :

— Qu’est-ce que c’est que cela, le Préfet ? demandai-je à Magnétou.

— Tu ne sais pas ce que c’est que le Préfet ! répondit-il, en se moquant de moi ; et les autres crièrent en se moquant comme lui : « Il ne sait pas ce que c’est que le Préfet ! ! Il ne sait pas ce que c’est que le Préfet ! ! ! »

— Non, je ne le sais pas, repris-je, honteux et confus ; mais va, je t’en prie, dis-le-moi, mon petit Magnétou, tu seras un bon garçon.

— Le Préfet… Le Préfet… Le Préfet… dit Magnétou, vous ne l’avez jamais vu, vous autres ; mais je l’ai vu, moi, une année qu’il vint chez M. Tavan. Le Préfet ? C’est une diligence avec quatre gendarmes : deux devant et deux derrière.

— Hé ! bien oui, ajoutèrent les autres, je le savais !

Je suis bien convaincu, maintenant, que ces marmaillons n’en savaient pas plus que moi et qu’ils venaient simplement d’apprendre, en même temps que moi, de la bouche de Magnétou, ce que c’est qu’un préfet ; mais les enfants sont comme les hommes : ils veulent toujours paraître plus savants qu’ils ne le sont.

IV

Je dois reconnaître que la réponse de Magnétou m’avait un peu abasourdi ; je n’aurais pas cru que le Préfet fût une diligence avec des gendarmes ; je m’étais même presque figuré que ce devait être une sorte d’homme avec une moustache rousse, habillé de gris et d’un peu de jaune, avec un sabre vert et un chapeau d’or à trois cornes. Mais je ne doutai point une minute de l’exactitude du renseignement que l’on venait de me donner : Magnétou portait bretelles et gilet ; de plus, son père était fermier chez M. Tavan ! Comment aurais-je osé soupçonner qu’il avait pu se tromper ?…