rades. Un coup d’aviron maladroit avait, dès le départ, noyé leur lanterne. Nous allions aborder ; le passeur se retournait, lâchant les rames, lorsqu’une clameur funèbre, éclatant sur la rivière, nous apprit qu’une catastrophe venait d’arriver.
En un instant, nous fûmes tous debout, fouillant du regard l’ombre épaisse. Le bachot, virant pesamment de bord, se dirigea vers l’endroit d’où partaient les cris. Malhabilement conduit, le canot avait heurté la berge et, dans le choc, un des passagers avait perdu l’équilibre, était tombé, là, entre l’arche vermoulue du petit pont de bois et le saule qui, penché, trempait le bout de ses branches dans le courant. Qui ? La grosse blonde. L’eau s’était refermée sur elle, sans un tressaillement, sans un pli. Disparue
D’abord, un affolement. Les femmes criaient, serrées les unes contre les autres, bousculées d’épouvante. Des hommes, dans leur effroi, pleuraient. D’autres enfonçaient au hasard les rames trop courtes. Deux ou trois, très ivres, restaient abrutis, ayant à peine l’air de comprendre. Quelques-uns appelaient désolément au secours, et leur voix expirait dans la nuit déserte. Rien ne répondit que le hurlement plaintif d’un chien, très au loin. Un coup de vent secoua la lanterne dont le papier prit feu. À cette lueur subite, on put voir, fantastiquement éclairés, les visages, pâles, tordus d’angoisse, et l’amant de la blonde qui, à genoux, tendait les bras vers le gouffre en gémissant. Puis la flamme décrût, s’éteignit. L’obscurité horrible reparut. Je plongeai. L’eau bourdonnante entrait dans mes oreilles. Je cherchais au hasard, rencontrant de la vase, des pierres, il me fallut remonter ; je suffoquais. Un instant accroché au bateau, je replongeai. Il me sembla que d’autres se jetaient avec moi. Je m’embarrassai dans les racines du saule, et j’eus la sueur de la mort entrevue. Je dus remonter encore sans avoir rien trouvé. On ne criait plus, on attendait, muet d’anxiété. Mes dents claquaient, un froid morbide entrait en moi. Deux fois, trois fois encore…… Tout à coup mes mains rencontrèrent…… oui, c’était un corps, étendu au fond, accroché sans doute quelque part. Je tirai furieusement. J’empoignai ce qui vint, à pleins bras. — C’était lourd. Puis, je me sentis brusquement soulagé de mon fardeau, saisi moi-même, et je roulai, exténué, au fond du bateau.
Vite ! vite ! à la maison ! On frôlait des allumettes, mais le vent, devenu violent, ne leur permettait pas de prendre, et nous restâmes dans le noir. Le passeur s’arc-boutait, pesait sur les avirons. Sans forces, j’entendais comme dans un rêve ce qui se passait autour de moi. On essayait de faire revenir la noyée ; on dégrafait sa robe ; on remuait ses bras pour provoquer la respiration. Enfin on aborda. Quelques-uns coururent devant faire préparer des secours. Nous transportâmes le corps. Je tenais, moi, les épaules ; la tête roulait atrocement sur mes