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LA STATUE DE MOLOCH

Dans le temple dallé de gypse et de porphyre,
Auprès du dieu Moloch à mufle de taureau,
Le grand prêtre est venu. Son visage respire
L’impassibilité cruelle du bourreau.

Oh ! l’asile discret plein d’odorants murmures
Où trônait mon idole ! Il m’en souvient toujours !
Des amours voltigeaient sur les lourdes tentures,
Sur les tentures d’or, de soie et de velours !

Profilant durement sa taille haute et sèche,
Le grand prêtre est debout. De son œil souverain
Il surveille un brasier dont la flamme pourlèche
Et les bras et les flancs du colosse d’airain.

Les amours souriaient dans les lourdes tentures,
Mignonne, et mon baiser rageur, multiplié,
Mettait sur votre peau d’énervantes brûlures
Qui la faisaient frémir du crâne jusqu’au pié.

Autour de la statue énorme et monstrueuse,
Le feu monte, se tord et bruit, éclatant.
Ainsi chantait ma lèvre, ô ma voluptueuse,
Sur les roses fraîcheurs de ton sein haletant.

Or, tandis que l’airain prend des teintes livides
Sous la caresse intense, effroyable du feu,
Tous les prêtres vêtus de leurs blanches chlamydes
Pénètrent dans le temple où se dresse leur dieu.

Ils vont d’un pas égal, d’un pas lourd d’automate,
Chassant au-devant d’eux comme un riche butin,