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LES VENTRES



I


Un assourdissant vacarme emplissait cette petite bourgade savoyarde. Temps lugubre et froid : ciel gris de nuages, terre grise de neige piétinée et boueuse. La nature était triste parce qu’on était en février ; les hommes gais parce qu’on était en carnaval.

De tout le territoire ambiant, les campagnards étaient accourus au village, bien décidés à prendre leur revanche des stagnantes tristesses de l’hiver. Et c’étaient des cris, des danses, des gesticulations.

Seuls, deux hommes se montraient réfractaires à ces joyeusetés carnavalesques.

De temps en temps, ils poussaient une porte et entraient. Pour s’attabler en face de quatre ou cinq mètres de boudin grillé ? Non. Leurs stations à l’intérieur de ces maisons étaient courtes ; leur sortie coïncidait presque avec leur entrée. Huit ou dix fois ils disparurent ainsi, — vite reparus.

Et leur mine atone et morne détonnait dans la joie générale. Ils fendaient la foule avec une sombre placidité ; la foule ne les remarquait pas ; aucune interpellation ne les accrochait au passage ; personne ne paraissait les connaître. Évidemment ces hommes n’étaient pas du pays…